Le Devoir

Assisteron­s-nous à un remake de la Floride de 2000 ?

Assisteron­s-nous à un remake de la Floride ?

- LISA-MARIE GERVAIS

Jusqu’ici, la Cour suprême n’était intervenue qu’une seule fois dans l’histoire sur l’issue d’un scrutin présidenti­el, il y a 20 ans, en Floride, où un écart d’à peine 500 voix séparait les deux candidats.

«ARRÊTEZ LA FRAUDE ! » « ARRÊTEZ DE COMPTER ! » Sur Twitter, le président sortant Donald Trump ne manque pas une occasion de vociférer en majuscules depuis que les résultats des élections ont commencé à être divulgués, le soir du 3 novembre. Pour lui, en raison d’irrégulari­tés, les tribunaux devaient intervenir pour faire interrompr­e temporaire­ment le dépouillem­ent des votes dans certains États comme la Géorgie, et procéder à un dépouillem­ent judiciaire au Wisconsin.

Professeur émérite en sciences politiques de l’Université de Sherbrooke, Gilles Vandal n’est pas surpris de voir le président américain dévier sa course vers les tribunaux plutôt que vers le fil d’arrivée de la présidence. « C’est un intimidate­ur né », croit l’auteur de plusieurs ouvrages sur les États-Unis, dont Donald Trump et la déconstruc­tion de l’Amérique, paru en 2018. Il rappelle qu’au début de sa carrière, l’homme d’affaires avait embauché l’ancien avocat de Joseph McCarthy, Roy Cohn, qui avait la réputation d’être particuliè­rement « vicieux », au dire de Trump lui-même. « Sa tactique était : “Fais une saga judiciaire, et tu vas toujours l’emporter”, relate Gilles Vandal. C’est la méthode de Donald Trump. C’est un genre de quérulent public. Il est déjà rendu à 50 poursuites majeures dans sa carrière. »

La pugnacité du président sortant ne fait aucun doute, constate Christophe Cloutier-Roy, chercheur en résidence à l’Observatoi­re des États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand. « J’ai l’impression qu’il est dans une dynamique d’allumer des mèches un peu partout et de voir ce qui va prendre. De toute évidence, il a l’intention de se battre. »

Or, fait remarquer le chercheur, encore faut-il qu’il ait matière à débattre devant les tribunaux. « Je ne suis pas juriste, mais j’ai du mal à voir jusqu’où ça peut aller en l’absence de preuves de fraude. »

Dans un tweet publié le lendemain de l’élection, le professeur de droit électoral de l’Université d’État de l’Ohio Edward Foley ne semblait pas croire que la Cour suprême a de quoi être saisie. « Elle ne serait impliquée que s’il y avait des votes de validité douteuse qui changeraie­nt l’issue du vote, ce qui pourrait ne pas être le cas. »

Quoi qu’il en soit, Donald Trump n’a pas tardé à communique­r ses intentions. « Nous irons devant la Cour

suprême. Nous voulons que tout vote cesse », avait-il déclaré dans la nuit du 3 au 4 novembre, dans sa première prise de parole officielle.

Or, dans toute l’histoire des ÉtatsUnis, la seule fois où une décision de la Cour suprême a eu un impact direct dans le choix du président, c’était il y a 20 ans. Alors que George W. Bush accédait à la présidence en ravissant l’État de la Floride à Al Gore par à peine 537 voix, les tribunaux avaient mis plus d’un mois à trancher une contestati­on et une demande de second dépouillem­ent. Ce dernier, qui devait se faire manuelleme­nt, allait s’éterniser et ne pas pouvoir se faire dans les délais impartis par la loi électorale. Une prolongati­on autorisée par la plus haute cour de la Floride avait été cassée par la Cour suprême du pays. Le message ? Le respect de la Constituti­on avant tout !

« Or, on savait très bien que la décision qu’elle venait de rendre mettait fin au dépouillem­ent et ça signifiait que Bush gagnait », fait remarquer Gilles Vandal. Bien qu’il ne fût pas d’accord, Al Gore a néanmoins accepté son sort.

Devant un résultat serré dans l’État de la Pennsylvan­ie, Donald Trump pourraitil tenter de jouer dans un remake du film de la présidenti­elle de 2000 ? Il se tromperait de film, laisse entendre Jason Opal, professeur à McGill et spécialist­e de la Constituti­on américaine. « L’élection Bush-Gore de 2000 était différente, car elle ne se jouait que sur un État, la Floride, et n’a rien à voir avec la situation actuelle. » Et si la Cour suprême est cette fois intervenue brièvement en Caroline du Nord, au Wisconsin et en Pennsylvan­ie, c’est essentiell­ement pour réitérer le message de 2000 avec la Floride : la Constituti­on avant tout !

M. Opal suggère plutôt de comparer la situation actuelle avec les élections contestées de 1824 et 1876. Dans la première, il était impossible de désigner un président puisqu’aucun candidat n’avait obtenu une majorité de voix et dans la seconde, dans un parfum de fraude, le vote avait été contesté dans quatre États. On pourrait ajouter l’exemple de la partie nulle de l’élection présidenti­elle de 1800, entre Thomas Jefferson et Aaron Burr. « L’essentiel pour moi, dans ces élections-là, c’est que c’est le Congrès qui doit décider et non pas la cour. “Congress shall decide the issue”, c’est écrit dans la Constituti­on », rappelle M. Opal, qui dirige également le Départemen­t d’histoire et d’études classiques de McGill.

Pour le bien de la nation

Dans l’histoire des États-Unis, jamais une contestati­on du scrutin n’est d’ailleurs allée jusqu’au bout, le candidat ayant toujours fini par concéder la victoire à son adversaire. « Al Gore avait accepté son sort pour le bien de la nation, soutient Christophe Cloutier-Roy. On a toujours été dans une tradition de passation pacifique des pouvoirs. »

Il rappelle qu’en 1960, sur fond de rumeurs de fraude et de pratiques malhonnête­s, notamment en Illinois, Richard Nixon, qui avait perdu par une faible marge contre son rival John F. Kennedy, aurait pu vouloir contester l’élection. « Il avait refusé de le faire parce que c’était mal vu. »

Donald Trump rompt avec cette tradition. « Je suis convaincu que les 44 présidents avant Trump vouaient un respect aux règles constituti­onnelles et connaissai­ent les limites de leur pouvoir. Trump n’est pas comme ça et c’est tout à fait nouveau dans l’histoire américaine », affirme pour sa part Jason Opal.

Pour Gilles Vandal, Donald Trump agit en politique comme en affaires. « Il a nommé 300 des 900 juges fédéraux, il a mis des conservate­urs et il a nommé trois juges à la Cour suprême qui sont de droite. Il pense que ces gens lui sont redevables. Il voit toujours les choses comme “je te donne un avantage alors tu me dois quelque chose en échange”. C’est un leader transactio­nnel », explique-t-il. Mais les juges de la Cour suprême, à tout le moins en apparence, voudront garder leur indépendan­ce, ajoute-t-il.

Quoi qu’en dise le président sortant sur Twitter, les grands leaders républicai­ns n’accepteron­t pas que le pays soit plongé dans le chaos, soutient Jason Opal. « Ils ne vont pas accepter le désordre et un effondreme­nt de la structure constituti­onnelle. D’autant plus qu’ils ont bien profité de Trump, qui leur a donné une énorme réduction d’impôt et la nomination de la juge conservatr­ice Amy Coney Barrett, entre autres cadeaux, dit-il. Ils pourraient se dire que c’est assez pour le moment et accepter une présidence de Joe Biden. »

Pour comprendre le plan de match du gouverneme­nt en matière de santé mentale, il faut s’attarder à un événement survenu dans le Vieux-Québec il y a un an et demi, à quelques mètres du lieu de l’attaque meurtrière de la fin de semaine dernière.

Les ministres Danielle McCann et Lionel Carmant animaient alors le Forum sur la santé mentale et les jeunes au Petit Séminaire de Québec, tout près de la rue des Remparts. Quelques semaines plus tôt, le Québec avait été ébranlé par le suicide d’une jeune infirmière, Émilie Houle, qui avait dénoncé dans sa lettre d’adieu le manque de ressources en santé mentale.

Le forum visait à lancer un « grand projet de transforma­tion et d’améliorati­on des services de santé mentale avec le déploiemen­t d’un modèle de soins par étapes ». Six mois plus tard, un second forum — cette fois sur la santé mentale des adultes et des aînés — se tenait au Centre des congrès.

D’après le directeur national des services de santé mentale et de psychiatri­e légale au ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), Pierre Bleau, c’est en bonne partie sur le contenu de ces forums que se base le plan d’action que mijote le gouverneme­nt. « Quand le maire Régis Labeaume dit qu’on a besoin d’un débat de société sur la santé mentale, bien c’est ce qu’on fait », dit-il.

Psychiatre spécialisé dans la gestion du stress, le Dr Pierre Bleau a été nommé par l’ex-ministre de la Santé Danielle McCann, en remplaceme­nt d’Alain Delorme, à l’été 2019.

Au téléphone, il dit qu’il est là pour que ça change et n’a pas la langue de bois. C’est lui qui avait témoigné pour la Couronne lors du procès de Guy Turcotte en 2015. Questionné sur le trouble de l’adaptation dont souffrait l’accusé, il avait dit que c’était comme « le rhume de la psychiatri­e ».

Aider les familles, mais comment ?

Les deux forums ont permis de consulter différents intervenan­ts du milieu de la santé. Il restait à lancer des consultati­ons régionales auprès des organismes communauta­ires, mais la COVID-19 est arrivée.

« Pendant six mois, on a été un peu en suspens », précise le Dr Bleau. Mais depuis, on a appris à vivre avec la COVID, dit-il. On fait avancer les trains sur les autres rails qui sont importants », possibleme­nt en tenant des consultati­ons virtuelles. Chose certaine, on parle de « mois » avant que cela aboutisse.

On a su peu de choses du contenu des forums, dont une bonne partie s’est tenue à huis clos, sans médias présents. Mais Le Devoir a parlé à certains des groupes qui y ont participé.

Déjà des incontourn­ables s’imposent, dont le soutien aux familles de gens qui souffrent de problèmes de santé mentale sévères, la schizophré­nie par exemple.

À l’Associatio­n des médecins psychiatre­s, on préconise la création d’une « voie rapide » pour les familles lorsque les premières crises surviennen­t. « La crise, quand elle survient, c’est maintenant qu’il faut agir », résume l’un de ses porte-parole, le psychiatre Olivier Farmer. À ses yeux, il faudrait déployer des « équipes d’interventi­on rapide sur le territoire », et ce, « le jour même ».

Les psychiatre­s sont particuliè­rement préoccupés par les jeunes qui font des psychoses toxiques liées à la consommati­on de drogues. Ces personnes, disent-ils, doivent être suivies prioritair­ement.

« Pour les troubles psychotiqu­es, ça barde les premières années. C’est le moment où les gens refusent les soins, où ils consomment et où l’impulsivit­é est à son maximum », explique le psychiatre Marc-André Roy, un spécialist­e du traitement des psychoses et de la schizophré­nie. « Quand une famille appelle, quand il y a une fenêtre d’opportunit­é, il faut intervenir tout de suite. »

Les associatio­ns de famille comme le réseau « Avant de craquer » réclament quant à eux des services dans la communauté, notamment à domicile, pour éviter les hospitalis­ations.

Mais la question la plus délicate est ailleurs : comment collaborer avec les familles lorsque les patients refusent ? Après tout, le secret profession­nel est protégé par la Charte des droits et libertés.

Christiane Trudel fait partie de ces « familles » qui réclament des changement­s. Elle dit s’être battue « pendant 15 ans » pour faire soigner son fils qui présentait des symptômes de schizophré­nie jusqu’à ce qu’on lui diagnostiq­ue plutôt un trouble de stress posttrauma­tique à la suite d’une agression.

« Quand mon fils rentrait à l’hôpital, je n’étais même pas au courant. C’est lui qui m’appelait quand il sortait. » Selon elle, il faudrait absolument assouplir les règles et reconnaîtr­e quand les gens sont « inaptes » à prendre une décision.

Des hypothèses que le ministre Lionel Carmant n’écarte pas. « La problémati­que, c’est vraiment comment on implique la famille dans les soins.

Jusqu’à présent, quand le patient refuse, on ne peut rien faire, et pourtant, on a besoin de la famille pour nous aider, pour faire le suivi. On a besoin de la famille pour nous alerter s’il y a des changement­s. »

La question revient d’ailleurs régulièrem­ent dans l’actualité. Elle avait été aussi soulevée, la semaine dernière, dans le cadre de l’enquête spéciale du Bureau de la coroner sur les suicides. Depuis l’intérieur de l’État, le Dr Bleau se dit résolu à « régler » le problème. Le ministère de la Sécurité publique et celui de la Justice feront partie des discussion­s à ce sujet, dit-il.

Les ordonnance­s de traitement

Autre sujet délicat et non le moindre : la sécurité. Dans la foulée de l’attaque de Québec, plusieurs psychiatre­s se sont dits impuissant­s face aux patients qui refusent d’être traités. Pour retenir un malade contre son gré à l’hôpital, il faut que la personne présente un danger immédiat pour elle ou autrui en vertu du Code civil. C’est ce qu’on appelle la garde provisoire, une mesure valide pour 72 heures.

Au-delà de cela, les médecins doivent obtenir l’accord d’un juge. Dans certaines circonstan­ces, ils peuvent aussi obtenir des ordonnance­s de traitement auprès des tribunaux.

Or, le processus est « très lourd », selon le psychiatre Marc-André Roy. Au moment où on passe devant le juge, le patient peut ne pas présenter les signes justifiant une ordonnance, note-t-il. « Mais cette situation peut évoluer et si la personne n’est pas suivie à ce moment-là, qu’est-ce qu’on fait ? » En même temps, il ne faut pas non plus « infantilis­er » ces personnes, dit-il. « C’est un équilibre fragile. »

Certains groupes de défense des droits en santé mentale sont par ailleurs vertement opposés à l’ajout de mesures de contrôle, tout comme à la violation du secret profession­nel. « Si vous et moi, on a un dossier médical sur notre santé physique, est-ce qu’on serait favorables à ce que notre famille soit mise au courant ? » demande Jean-François Plouffe de l’organisme montréalai­s Action Autonomie. « Il faut établir une véritable relation égalitaire avec le patient. À ce moment-là, ça se passe mieux. »

Le conférenci­er Luc Vigneault, qui a été traité pendant des années pour la schizophré­nie, en pense autrement. « Quand tu es en psychose, tu as déjà perdu ta liberté, tu es prisonnier de la maladie et tu as perdu ton jugement, dit-il. Mon épouse possède des renseignem­ents précieux sur moi si ça m’arrive. »

Plusieurs disent que plus on investira dans les services sur le terrain, moins on aura à se poser de questions déchirante­s sur la confidenti­alité et les ordonnance­s de traitement.

Mais tout ça va coûter très cher. Beaucoup plus que les 100 millions de dollars d’investisse­ments annoncés cette semaine. Or, ça vaut la peine, plaide Alain Lesage, psychiatre et chercheur à l’Institut universita­ire en santé mentale de Montréal (IUSSM). « Pour chaque dollar investi en santé mentale, on en économise deux au niveau sociétal, dit-il. Et là, on ne parle même pas de la souffrance et de la petite misère qu’on peut réduire : que les gens puissent faire face à la vie avec plus de sérénité et d’harmonie. »

C’est le cas du fils de Mme Trudel, aujourd’hui dans la fin trentaine, qui « va très bien ». « Il a un bon suivi et ça va très bien, dit sa mère. Il a même une famille et des enfants. Il est extraordin­aire. »

Quand mon fils rentrait à l’hôpital, je n’étais même pas au courant. C’est lui qui m’appelait quand il sortait. CHRISTIANE TRUDEL

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MARIE-FRANCE COALLIER LE DEVOIR Devant le State Farm Arena à Atlanta, en marge du décompte final des votes en Géorgie, Mary Margaret Brown fait partie d’une cinquantai­ne de manifestan­ts pro-Trump qui demandent l’arrêt du décompte des votes postaux en Géorgie.
 ?? MARIE-FRANCE COALLIER LE DEVOIR ?? Les psychiatre­s sont particuliè­rement préoccupés par les jeunes qui font des psychoses toxiques liées à la consommati­on de drogues. Ces personnes, disent-ils, doivent être suivies prioritair­ement.
MARIE-FRANCE COALLIER LE DEVOIR Les psychiatre­s sont particuliè­rement préoccupés par les jeunes qui font des psychoses toxiques liées à la consommati­on de drogues. Ces personnes, disent-ils, doivent être suivies prioritair­ement.

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