Le trumpisme et nous, la chronique de Michel David
En 2016, le premier ministre Philippe Couillard avait déclaré que François Legault était le « Donald Trump du Québec ». Il y voyait pour preuve ses positions en matière d’immigration. Plus prudent, Jean-François Lisée avait utilisé la forme interrogative : « Et si Trump, c’est François Legault » ? C’est seulement deux ans plus tard, à la veille de la campagne électorale de 2018, que le chef du PQ a jugé bon de se raviser, qualifiant la comparaison d’« odieuse ».
À l’époque, M. Legault lui-même ne la rejetait pas, loin de là. Il doit remercier le ciel que cela ne lui ait pas collé à la peau. On n’a jamais oublié que Jean Charest avait pris pour modèle Mike Harris, qui n’était tout de même pas Trump. Tout en disant ne pas apprécier son style et ses exagérations, Legault disait se reconnaître dans l’approche populiste du nouveau président américain. « Je suis à l’aise avec le fait que M. Trump s’est préoccupé de ce que souhaitent les citoyens. Les gens ne sont pas satisfaits de leur gouvernement, ils trouvent que leur gouvernement est loin du peuple. Moi, je pense que je suis quelqu’un qui est proche du peuple », avait-il déclaré. Il reprochait à MM. Couillard et Lisée, tout comme aux chroniqueurs et analystes des grands médias, de faire partie de cette « élite » vilipendée par M. Trump.
Bien entendu, M. Legault n’a pas mis beaucoup de temps à se distancier de cet embarrassant modèle, dont les dérapages ont rapidement déconcerté, puis indigné la planète tout entière. Après des années de frustration, le chef de la CAQ ne voyait pas moins dans le succès de M. Trump les ingrédients d’une recette gagnante. Au lendemain de la victoire de la CAQ, plusieurs appréhendaient le pire.
Comme l’élection américaine de 2016, celle d’octobre 2018 au Québec a eu l’effet d’un révélateur. Le rejet des « vieux partis » a illustré un ras-le-bol qui ne demandait qu’une occasion de s’exprimer, comme la quasi-exclusion de la CAQ de l’île de Montréal consacrait l’existence d’un fossé entre la métropole et le reste du Québec qui n’avait cessé de se creuser au fil des ans.
Jeudi, M. Legault s’est inquiété des répercussions que les déchirements dont les États-Unis offrent le pénible spectacle pourraient avoir au Québec. Il est évident que la société québécoise n’est pas imperméable à ce qui se passe au sud de la frontière, mais il est permis de croire que les fondements de la cohésion sociale y sont plus solides. Comme dans toutes les sociétés occidentales, la mondialisation a créé au Québec des tensions qui mettent cette cohésion à l’épreuve. Si elles sont bien réelles, comme en témoigne la vigueur du débat sur la laïcité ou sur le racisme systémique, les divisions demeurent moins profondes qu’aux États-Unis.
Si plusieurs se sont élevés contre le poids de l’État-providence, le « modèle québécois » issu de la Révolution tranquille n’est pas sérieusement remis en question, même s’il est souvent critiqué. La CAQ n’a pas amorcé le désengagement que d’aucuns appréhendaient, bien au contraire. Alors qu’il aurait pu accélérer l’allègement du fardeau fiscal, le budget prépandémie présenté par Eric Girard avait plutôt un air de social-démocratie.
Quand la crise sanitaire a éclaté, les Québécois se sont félicités de disposer d’un État fort, capable de lutter contre le virus et d’en atténuer l’impact économique. L’action énergique du gouvernement Legault, comme celle d’Ottawa et des autres provinces canadiennes, contraste de façon saisissante avec l’irresponsabilité du gouvernement Trump. Malgré une certaine opposition, les adeptes des thèses complotistes demeurent relativement marginaux et les consignes sont généralement respectées. Trois Québécois sur quatre (74 %) sont satisfaits de sa gestion de la crise. Même les électeurs libéraux le sont en majorité (58 %), selon le dernier sondage Léger-Le Devoir.
S’il partage avec M. Trump le goût du tweet, le premier ministre a cessé de reprocher aux médias traditionnels de faire partie de cette élite méprisante qui regarde la population de haut et prétend lui dire ce qu’elle doit penser. Il n’a peut-être pas changé d’avis, mais il ne l’exprime pas. Ses relations avec la presse sont respectueuses, voire cordiales, et il manifeste ouvertement son aversion pour la radio poubelle.
On a accusé le président américain d’avoir légitimé et renforcé les préjugés de ses partisans. M. Legault a ses défauts, mais le populisme qu’on lui reproche a peut-être contribué davantage à contenir les déplorables excès du trumpisme qu’à les encourager. Dès lors que le « peuple » s’est reconnu dans son premier ministre, qui aime se présenter comme un gars ordinaire, ses arbitrages ont été acceptés.
La majorité de ses électeurs, de même que ses députés, auraient préféré que la Loi sur la laïcité soit plus contraignante, mais il les a convaincus que leur « fierté » pouvait se satisfaire de celle qui a été adoptée. Les adeptes du multiculturalisme à tous crins ont parfaitement le droit de la dénoncer et de la contester devant les tribunaux, mais le mieux est souvent l’ennemi du bien.