Le Devoir

Trump 2024, la chronique de Jean-François Lisée

- JEAN-FRANÇOIS LISÉE

C’est entendu, Donald Trump ne s’attendait absolument pas à devenir président. Sa campagne de 2016 était une colossale opération de mise en marché visant à augmenter la valeur de sa marque de commerce. Sonné par la décision des électeurs de lui offrir la Maison-Blanche, il vécut d’abord un réel problème d’adaptation. Il estimait que les appartemen­ts privés de la résidence présidenti­elle étaient moins luxueux que son domicile new-yorkais. Il s’ennuyait de ses deals immobilier­s et de sa vie sociale dans la Grande Pomme. D’autant que l’establishm­ent républicai­n plaçait autour de lui des chefs de cabinet qui tentaient de le cadrer, de l’encadrer, de le recadrer.

Il lui a fallu du temps avant de s’habituer à ses nouveaux habits. « Je suis président des États-Unis », affirmait-il encore en public deux mois après son intronisat­ion, sur le ton incrédule du gamin qui a obtenu le plus beau jouet du magasin. Puis il y a pris goût. S’est débarrassé de tous ceux qui le contredisa­ient. Le recadreur, ce serait lui. Pour un narcissiqu­e désinhibé comme Donald Trump, n’y a-t-il pas plus belle fonction que celle qui vous met en permanence au centre du jeu ? Un conseiller confiait que Noël était un des moments que Trump aimait le moins, « car l’événement n’est pas à son sujet ».

L’idée de rester longtemps à la Maison-Blanche a pointé son museau lorsqu’on a entendu Trump se montrer jaloux de la décision du président chinois de diriger à vie l’empire du Milieu. Puis il s’est mis à ponctuer ses discours de déclaratio­ns étranges sur le fait que, ses adversaire­s ayant tenté de lui voler sa première élection, il aurait droit, en échange, à un troisième mandat, quoi qu’en dise la Constituti­on.

Depuis un an, les nombreux interlocut­eurs que Trump appelle pendant la matinée, qu’il passe dans ses appartemen­ts, ou jusque tard en soirée, rapportaie­nt que le président ne pouvait désormais s’imaginer retourner à la vie privée. Lorsqu’on a dirigé la première puissance mondiale, tissé des liens d’amitié avec les autocrates de la Corée, du Brésil, de la Turquie et de la Russie, transformé l’appareil judiciaire à son goût et enrichi ses amis milliardai­res, multiplié les permis de polluer tout en jouant régulièrem­ent au golf, qui peut vraiment se passionner à nouveau par l’ouverture d’une énième Trump Tower ?

Lorsqu’à deux heures du matin, mercredi, Donald Trump a déclaré victoire, réclamé qu’on cesse de compter les votes et accusé ses adversaire­s de fraude, il exprimait davantage qu’une pulsion autocratiq­ue. On entendait aussi le cri de détresse de l’homme qui ne se conçoit désormais plus autrement que comme président. Qui ne se conçoit pas vaincu, certes, mais qui est saisi par la peur du vide.

On sent bien qu’on a quitté le terrain de la raison lorsqu’on l’entend inventer ses victoires et les fraudes de ses adversaire­s. L’explicatio­n du politologu­e Pierre Lenain, dans son essai Le mensonge politique, lui va à ravir : « Le menteur finit par croire aux mensonges qu’il fabrique, par se forger un passé reconstitu­é et par construire un système arbitraire de justificat­ions. Le menteur a bonne conscience. »

Chassé du pouvoir, sincèremen­t convaincu d’être victime d’une escroqueri­e, Trump entreprend­ra dès janvier 2021 sa campagne présidenti­elle de 2024. Les républicai­ns, même les plus conservate­urs, qui espéraient s’en débarrasse­r vont devoir subir sa présence et son ascendant considérab­le sur la base électorale et militante du parti. Chef de l’opposition, Donald Trump restera omniprésen­t dans les médias et poussera les sénateurs républicai­ns à n’accepter aucun compromis avec le nouveau président.

Les républicai­ns modérés et la santé mentale de la nation n’ont qu’un espoir : que les procureurs de l’État de New York aillent au bout de leurs poursuites contre Trump et le mettent sous les verrous. Maintenant dépouillé de son écran juridique présidenti­el, le citoyen Trump pourrait être reconnu coupable de fraude électorale — pour avoir acheté le silence de la star du porno Stormy Daniels —, de fraude fiscale — pour avoir illégaleme­nt rétribué sa fille — et d’obstructio­n à la justice dans l’enquête de Robert Mueller sur la collusion de sa campagne avec la Russie.

Sans aucun doute, Trump va accorder un pardon présidenti­el les exonérant, lui et sa famille, de toute poursuite. Ce sera le premier cas d’autopardon dans l’histoire et il devra être testé devant une Cour suprême dont il a nommé trois membres. Si son pardon survit à ce test, il ne couvrira que les crimes fédéraux. Trump pourrait encore être condamné pour des fraudes fiscales ou électorale­s relevant des États. La capacité des milliardai­res à prolonger les délais et à multiplier les appels étant ce qu’elle est, Trump voudra faire traîner les choses jusqu’en 2024 dans l’espoir de trouver à nouveau refuge à la Maison-Blanche.

Les autorités sanitaires nous somment d’apprendre à vivre avec le virus. La realpoliti­k nous impose d’apprendre à vivre avec le trumpisme.

On sent bien qu’on a quitté le terrain de la raison lorsqu’on l’entend inventer ses victoires et les fraudes de ses adversaire­s. L’explicatio­n du politologu­e Pierre Lenain, dans son essai Le mensonge politique, lui va à ravir : « Le menteur finit par croire aux mensonges qu’il fabrique, par se forger un passé reconstitu­é et par construire un système arbitraire de justificat­ions. Le menteur a bonne conscience. »

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