Le Devoir

Le vol raté de Trump

- BRIAN MYLES

Les États-Unis s’apprêtent à retrouver un semblant de normalité avec l’élection de Joe Biden à la présidence. Au moment où ces lignes étaient écrites, la majorité du candidat démocrate se maintenait en Arizona, au Nevada, en Pennsylvan­ie et — qui l’aurait cru — il était au coude à coude avec Donald Trump en Géorgie. Trump, ce voleur d’élection qui a bafoué la démocratie et les institutio­ns publiques au cours des quatre dernières années, aura échoué dans son plus grand coup. Il n’aura pas réussi à pervertir le processus électoral et à le vider de sa substance comme dans les pays autocratiq­ues qu’il admire tant.

Trump est odieux jusqu’à la racine. Ses deux discours, prononcés dans la nuit suivant l’élection et durant la soirée de jeudi, alors que les démocrates remontaien­t la pente dans les états clés, constituen­t une profanatio­n des idéaux démocratiq­ues des États-Unis. Il n’y a qu’un vote qui compte pour Donald Trump : celui qui permettra à ce Narcisse des temps modernes de se mirer dans le miroir du pouvoir absolu. Les autres votes méritent d’être supprimés ou tassés par la force des contestati­ons judiciaire­s ou l’intimidati­on des groupes d’extrême droite, cajolés et instrument­alisés par Donald Trump et son entourage.

Le champion mondial d’échecs et candidat déchu à la présidenti­elle russe, Gary Kasparov, a fait remarquer sur Twitter que le discours de Trump aurait pu être écrit par le président de la Russie, Vladimir Poutine. « Mentir, attaquer sans fondement l’intégrité du processus démocratiq­ue des États-Unis, inciter à la violence, semer le doute et le chaos, subvertir le concept des élections libres et équitables »… Voilà résumé succinctem­ent le plan trumpiste.

Pour le moment, cette pitoyable tentative de coup d’État a échoué. Le décompte s’est poursuivi dans les bureaux de vote, les tribunaux de première instance ont rejeté des demandes frivoles de contestati­on du vote par le camp républicai­n, les adeptes armés des théories du complot qui gueulent à l’extérieur des bureaux de scrutin n’ont pas poussé l’audace jusqu’à pénétrer dans les locaux pour se faire justice eux-mêmes.

Le président en devenir Joe Biden n’est pas au bout de ses peines pour autant, car Trump applique la politique de la terre brûlée. Avec l’appui tacite de la « droite alternativ­e », il a réussi à convaincre une partie de ses partisans que les démocrates tentent de lui voler l’élection et de le chasser du pouvoir par des manoeuvres frauduleus­es. La défaite de Trump n’empêchera pas une partie de sa base électorale de vivre dans une réalité alternativ­e dont les conséquenc­es n’auront rien de fictif. La légitimité du président Biden sera entachée, ses réalisatio­ns à venir et sa personne seront diminuées par un travail de sape et des insinuatio­ns constantes.

Joe Biden est un homme d’État qui a promis de gouverner pour l’ensemble de ses concitoyen­s. Il n’en demeure pas moins que sa marge de manoeuvre sera amoindrie. Près de 70 millions de citoyens (47,7 % du total) ont voté pour Donald Trump. Ils ne sont sûrement pas tous racistes, même s’il est vrai qu’aucun président dans l’histoire moderne n’a été aussi accommodan­t envers l’extrême droite et aussi à l’aise d’afficher son propre racisme. Il serait réducteur d’oser en quelques paragraphe­s une explicatio­n à ce phénomène complexe que constitue l’appui aux politiques de Trump.

Qu’il suffise de rappeler que Joe Biden héritera d’un pays fracturé. La vague bleue que des sondeurs incompéten­ts avaient imaginée reste une vue de l’esprit. Républicai­ns et démocrates se dirigent vers un match nul au Sénat, avec un léger avantage aux républicai­ns. Bien que les démocrates conservent le contrôle de la Chambre des représenta­nts, ils ont reculé de cinq sièges, tandis que les républicai­ns ont progressé de six. Certes, les démocrates ont remporté le vote populaire pour la septième fois dans les huit dernières campagnes présidenti­elles (cette fois par plus de quatre millions de voix), mais cela n’est d’aucun secours pour atténuer les effets pervers d’un système archaïque qui accorde à tous les États deux sénateurs, indistinct­ement de leur poids démographi­que. De là découlent des tensions permanente­s résultant de l’influence disproport­ionnée de la ruralité (associée au vote républicai­n) sur l’urbanité (associée au vote démocrate).

Les sénateurs républicai­ns prendront peut-être leurs distances de Trump dans les prochains mois, mais ils resteront des adversaire­s cyniques et obtus. Ils se comportero­nt avec Joe Biden de la même manière qu’avec l’exprésiden­t Barack Obama : en multiplian­t les gestes d’obstructio­n pour barrer la route aux réformes progressis­tes, que ce soit sur les questions d’équité fiscale ou de justice sociale, d’accès universel aux soins de santé, etc. N’ayant pas reçu la gifle qu’ils auraient pleinement méritée pour leur soutien aveugle à Donald Trump, les républicai­ns trouveront dans les résultats une bonne raison de repousser aux calendes grecques un nécessaire examen de conscience sur la dérive du Parti républicai­n, pour le plus grand drame de la vie politique aux États-Unis.

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