Le Devoir

Le « burn-out collectif » est bien réel

Les dessins d’arc-en-ciel aux fenêtres ont terni à la même vitesse que nos quotidiens

- Shana Paquette

Quand les profession­nelles en soins bloquent des ponts pour revendique­r de meilleures conditions de travail — et qu’on suggère de leur retirer leurs congés subsistant­s —, quand des propriétai­res d’entreprise sont acculés à désobéir aux lois — et qu’on leur répond par la menace d’amendes —, quand les études démontrent que près de 50 % des travailleu­ses et des travailleu­rs souffrent de détresse psychologi­que — et qu’on leur propose une applicatio­n plutôt qu’un accès à de vraies consultati­ons —, il me semble qu’on est loin du « moins pire ».

« Au début, je me disais qu’on vivait quelque chose d’unique, quelque chose de troublant, oui, mais de profondéme­nt nouveau », me disait récemment un ami lors d’une rencontre sur Zoom (faut-il encore le préciser ?). « Mais maintenant, maintenant je suis épuisé et j’ai peur. » Il n’est pas le seul.

La solidarité volontaire et les élans collectifs du début de la crise se sont mis à tomber bien avant les feuilles. Les dessins d’arc-en-ciel aux fenêtres ont terni à la même vitesse que nos quotidiens, nous laissant dans une zone pas seulement rouge, mais étouffée de grisaille.

Partout autour de moi, mes proches se rétractent, s’enferment dans leur appartemen­t, mais aussi et surtout dans leur angoisse, leur abattement, qui eux sont beaucoup plus étroits que n’importe quel deux et demie. Les liens se dissolvent, se fatiguent autant que nous de n’exister qu’à travers nos écrans. On nous force à nous transforme­r en ermites, on nous fait boire à grandes coulées cette crainte de l’autre, cette crainte que le danger réside en lui. Effarés dans nos solitudes, nous n’avons ni la permission ni l’énergie de demander de l’aide. Comment oserionsno­us choisir notre bien-être (physique, mental, émotionnel) quand on nous matraque que celui de la province entière repose sur notre « participat­ion à la solution » ? Quel type de gouverneme­nt impose ce genre de « choix » ?

Le « burn-out collectif » est bien réel. Il se dresse devant nous comme une immense crevasse au bout du cul-de-sac dans lequel on nous a coincés. Depuis trop longtemps déjà, l’équilibre précaire de ce « nouveau normal » est maintenu grâce aux sacrifices de la population. Mais ça ne suffit plus. Les « ça va bien aller » ne suffisent plus. L’assagissem­ent des citoyens ne peut plus colmater les failles du système. Nous avons besoin d’une vraie solution, d’un vrai soutien.

On tente de nous dissiper par le « bonheur d’achat » en laissant ouvert tout ce qui se consomme, alors que derrière les portes closes sont bâillonnés nos arts et la culture. On veut nous convaincre qu’on préserve l’économie en autorisant l’ouverture des centres commerciau­x, alors que chaque vitrine vide témoigne de la mort de notre marché local. On entretient des tours de bureaux pratiqueme­nt désertes, alors que des milliers de personnes se retrouvent à la rue depuis qu’elles ne parviennen­t plus à payer leur loyer.

En nous privant de chaleur, de créativité, d’amour, en nous réduisant à notre seul rôle « d’opérateur », on nous dépouille de ce qui nous rend foncièreme­nt humains.

C’est cette part d’humanité que j’invoque aujourd’hui.

Donnez-nous le droit à une qualité de vie acceptable. Donnez-nous la preuve que vous oeuvrez au bien-être commun. Donnez-nous la chance de traverser ensemble cette crise humanitair­e.

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VALÉRIAN MAZATAUD LE DEVOIR On tente de nous dissiper par le « bonheur d’achat » en laissant ouvert tout ce qui se consomme, alors que derrière les portes closes sont bâillonnés nos arts et la culture.

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