Les sphères musicales de Nicholas Collon
À la tête de l’Aurora Orchestra, le chef se bat contre « la manière sclérosée de faire un programme de concert et d’agencer les répertoires »
C’est l’un des projets artistiques les plus surprenants de la scène musicale classique. À la tête de l’Aurora Orchestra, Nicholas Collon mêle des univers musicaux qui ne sont en rien amenés à se côtoyer a priori. Avec Music of the Spheres, la vision d’Aurora fait son entrée au catalogue Deutsche Grammophon.
« L’éclectisme et la variété des répertoires teintent la manière donc nous envisageons la musique depuis nos débuts. » Le constat de Nicholas Collon, qui, interrogé par Le Devoir, déplore la vision « rigide et traditionnelle de ce qu’il convient d’assembler », ne surprendra pas ceux qui se sont penchés sur le programme de son premier CD chez Deutsche Grammophon. Music of the Spheres débute par la Symphonie « Jupiter » de Mozart, se poursuit avec une création du néoclassique Max Richter et avec Time Stands Still, un air de John Dowland arrangé par Nico Muhly, suivis du Concerto pour violon « Concentric Paths » de Thomas Adès pour s’achever par Life on Mars de David Bowie. Ligeti et John Lennon Comment déterminer dans des univers si parallèles ce qui peut s’assembler ? « C’est souvent un thème pour un concert qui nous amène à associer des oeuvres. C’est le cas de Musique
des sphères. Nous avons passé la commande de Journey à Max Richter. Le concerto de Thomas Adès est tout en cercles concentriques et nous avons programmé cela lors d’un concert mis en lumières qui reprenait la représentation de mappemondes des Grecs anciens. » Le disque publié par DG, qui surprend par son agencement, découle donc de cette soirée. On comprend aussi que la présence de la nouvelle icône du label jaune, Max Richter, a eu un rôle prépondérant dans l’existence du CD.
Nicholas Collon se bat contre « la manière sclérosée de faire un programme de concert et d’agencer les répertoires ». « Si vous remontez de 150 ans ou au temps de Beethoven, les programmes étaient bien plus variés, plus intéressants avec bien plus de nouvelles musiques », insiste-t-il.
L’idée des différents genres issus de différentes époques, déclinée par Aurora dans ses concerts, a déjà été transposée sur deux albums, Roadtrip et Insomnia, publiés sous licence par Warner en 2014 et 2015. Roadtrip jumelait Copland, Ives, Adams, avec du Paul Simon et des chansons traditionnelles. Insomnia associait le Nocturne de Britten avec les 100 Métronomes de Ligeti, une Symphonie de Brett Dean, du John Lennon et du François Couperin.
Nicholas Collon ne fait pas de différence majeure entre les éditeurs avec lesquels il travaille. « Nous avons apprécié notre expérience chez Warner. La raison de ce CD chez DG est notre commande à Max Richter. Nous ne sommes pas artistes exclusifs. »
Pour un autre public ?
Durant ces 20 dernières années, la musique classique a été obnubilée par la supposée nécessité d’attirer un nouveau public plutôt que de consolider la clientèle existante comme le soulignait en entretien au Devoir le nouveau directeur du Festival de Lanaudière, Xavier Roy. La démarche d’Aurora a forcément attiré un public non conventionnel. « Le but n’était pas de cibler un auditoire, mais vraiment de présenter de la musique orchestrale différemment. Cela dit, si vous me demandez si en comparaison avec des institutions symphoniques traditionnelles nous avons un public plus jeune, la réponse est oui. »
Cela posé, Nicholas Collon affirme que « le public n’est pas totalement différent ». « Lorsque nous disons que nous voulons nous adresser à plein de gens, cela inclut des personnes qui en savent déjà long sur la musique. Nous ne disons pas que notre approche est destinée au public 20-30 ans, même si nous avons à nos concerts des spectateurs dans la trentaine et la quarantaine. Mais on voit aussi des quinquagénaires. »
Par ailleurs, activité non reflétée au disque, Aurora cherche aussi dans ses concerts à mêler la musique à d’autres disciplines artistiques (littérature, théâtre, danse) et travaille le côté visuel de ses concerts avec des éclairages. « Si nous programmons une association musique et danse, oui nous attirerons le public de la danse. »
L’existence d’un disque compact relayant des projets en appelant à des auditoires potentiellement plus jeunes et plus ouverts suscite une interrogation. En effet, s’adresser à ce public à travers un programme élaboré par le truchement du disque alors que le CD est un médium qui ne concerne pratiquement pas la génération en question ne manque pas de surprendre. « Vous avez raison, mais je ne pense pas que ce soit un problème », rétorque Nicholas Collon. Les auditeurs peuvent streamer ou télécharger Max Richter, le Concerto pour violon de Thomas Adès ou un arrangement de Nico Muhly. Si vous voulez faire le voyage au complet vous avez le CD. »
Le chef n’est pas dupe : le streaming prenant le pas sur le CD, il prend en compte le fait que certains auditeurs entendront son programme par bribes. « Mais, par ailleurs, je suis aussi très fier de notre enregistrement de la Symphonie « Jupiter » de Mozart et on pourra aussi nous découvrir à travers cela. »
Nicholas Collon ne sait pas de quoi le futur sera fait : « Que va devenir le CD ? Il se peut que dans le futur tout sera audiovisuel puisque avec la COVID tout devient audiovisuel. »
Musique par coeur
La dernière évolution et singularité d’Aurora est d’avoir introduit le fait de jouer par coeur. « Nous avons commencé il y a cinq ans, avec une
40e Symphonie de Mozart aux Prom’s. Le public a apprécié et nous avons continué. » Aurora a présenté depuis 100 concerts, dont certains avec une composante didactique très appréciée, de cette manière. Il n’y a jamais eu de difficultés ni de moments de panique, malgré un changement d’habitudes radical.
En tout cas, avec des musiciens sans partitions, au moins le chef est sûr que tout le monde le regarde ! « En fait, ce n’est pas tant que tout le monde me regarde, mais le travail de préparation avant la répétition est de 40 à 50 heures, ce qui fait que tout le monde connaît sa partition à l’endroit, à l’envers et dans ses moindres recoins. Les instrumentistes peuvent donc communiquer entre eux, avec moi et avec le public, jouer avec un vrai sens de l’improvisation et réagir très rapidement. Surtout, aussi, ils s’attribuent la partition et il n’y a pas de hiérarchie entre les musiciens : de la première rangée des premiers violons à la dernière des deuxièmes violons, tout le monde a la même responsabilité. »
Dans les répertoires abordés, la
1re Symphonie de Brahms semble avoir été le défi le plus ardu. Aussi bien la 9e Symphonie de Chostakovitch que la
Symphonie fantastique de Berlioz ont été des expériences très positives. Quand on demande à Nicholas Collon les limites de l’exercice, il rétorque : « La musique minimaliste probablement. »
Le chef d’Aurora n’a pas de problème à voir ses idées adoptées ailleurs. « Nous faisons ce que nous pensons juste et intéressant. D’autres groupes font des choses pertinentes. Certains ont commencé à jouer par coeur à la suite de nos expériences, c’est très bien comme cela. »
À New York, l’ensemble The Knights suit peu ou prou une voie similaire, davantage dans un mélange d’époques que de genres. D’ailleurs The Knights avaient aussi intéressé Warner au même moment qu’Aurora, mais, là aussi, sans grands lendemains.
Cela amène forcément la question : y a-t-il un public au-delà d’une expérience immersive ponctuelle de musique vivante ? Les résultats commerciaux de Music of the Spheres le diront.
À l’actif d’Aurora, il y a non seulement l’audace, l’imagination mais aussi le sérieux de la réalisation : les arrangements sont impeccables, Dowland est chanté par le contre-ténor vedette Iestyn Davies et Adès est confié à l’excellent violoniste Pekka Kuusisto. Mais les mentalités seront difficiles à bouger. Pourquoi se priver de Harnoncourt dans Mozart et ne pas découvrir Adès par Adès chez DG ? Sans le support du concept visuel du concert, une oeuvre n’éclaire pas l’autre et il faut une sérieuse ouverture d’esprit pour entrevoir quelque révélation.
À moins qu’un nouveau public ait vraiment émergé selon le principe de la génération spontanée. Aurora ne serait alors ni épiphénomène ni laboratoire d’idées, mais catalyseur.