Mathilde Cinq-Mars ou l’art d’embellir le quotidien
Avec son nouvel opus en tandem avec l’écrivain Éric Dupont, l’illustratrice apprivoise le monde des oiseaux
Il y a les disparus, les ténébreux, les maritimes, les grandes voix, les barboteurs ou encore ceux que l’on mange. Ils sont libres, ailés, colorés et participent activement à l’équilibre de notre écosystème. Rapaillés avec respect, sensibilité et poésie par Éric Dupont dans Nos oiseaux, les volatiles prennent vie sous le trait atmosphérique de Mathilde Cinq-Mars.
C’est avec Nos héroïnes, écrit par Anaïs Barbeau-Lavalette et paru en 2018 chez Marchand de feuilles, que le talent de l’illustratrice Mathilde Cinq-Mars s’est enfin dévoilé au plus grand nombre. Deux ans plus tard, sous l’initiative de l’éditrice Mélanie Vincelette, on la retrouve dans Nos
oiseaux, illustrant un univers bien différent, mais ô combien évocateur. « C’est mon plus beau projet à vie ! » lance l’illustratrice que l’on imagine tout sourire au bout du fil. C’est d’abord par amour pour la nature et par admiration pour Éric Dupont qu’elle dit avoir accepté le projet. « Faire un livre, c’est tellement long, ce sont des mois de travail, alors, avant de dire oui, il faut que j’aie envie d’être plongée dans cet univers-là. Et celui-là, c’était sans hésitation. »
Passionnée de botanique et très près de la nature, Cinq-Mars avoue tout de même avoir toujours eu un peu de difficulté à intégrer le nom des oiseaux. « Quand j’ai reçu les textes d’Éric, je me suis dit : “Enfin !” Il me donnait des clés, des anecdotes cocasses, il venait faire des liens entre les oiseaux, les gens et le territoire. Et ça, ça m’a touchée. » Non seulement elle est maintenant capable de reconnaître différents volatiles, mais elle avoue que cette immersion dans leurs univers a changé son quotidien et contribué à embellir sa vie.
Apprivoiser les espèces
Afin de bien intégrer chacun des oiseaux mis en scène par Éric Dupont, Mathilde Cinq-Mars est ainsi allée audelà de la représentation factuelle des espèces et s’est intéressée à ce lien intime qui unit l’oiseau au monde qui l’entoure, notamment à l’humain. Au départ, raconte-t-elle, elle a créé les petits les plus attachants, la mésange, par exemple tout en repoussant à plus tard ceux qui la rebutaient, soit les carnassiers, les rapaces.
« Je n’avais pas envie de dessiner ceux qui font peur comme l’engoulevent ou encore le grand corbeau et l’urubu… Mais finalement, je ne les ai plus vus comme des oiseaux dégoûtants, qui mangent des carcasses en décomposition ; au contraire, ils font tellement partie de notre écosystème, ils récupèrent ce qu’on a jeté. » Il faut voir dans ses dessins l’humanisation de certains des oiseaux, notamment l’urubu, transformé en vieille femme bienveillante. « C’est tellement laid, un urubu. Alors, habillé en grand-mère, il devient plus attachant… Il est hot, il n’y a pas plus hot que ma grand-mère ! »
À travers le projet qui s’est échelonné sur trois saisons, les oiseaux sont ainsi devenus ses bons amis. « Quand je les vois, j’ai envie de les flatter comme on flatte un chat. C’est sans doute pourquoi j’ai eu tendance à les ramener vers l’humain et à mettre en scène plus de personnages. C’est mon attachement aux oiseaux qui s’est transposé dans mon style de dessin. »
Et pendant ces mois d’exploration et de recherche, l’illustratrice a véritablement vécu son projet. En plus de se plonger la tête dans les livres, elle a mis le nez dehors et levé les yeux au ciel. Notamment celui de la CôteNord où elle a été très attentive aux oiseaux, à leur rythme de vie, à leurs chants. « J’étais en voyage avec ma fille et mon chum. On est assis sur une dune, c’est magnifique. Je vois soudainement un petit oiseau qui virevolte et je lance : “Oh ! C’est l’hirondelle de rivage ! Je viens de la dessiner. Je la reconnais.” On s’est alors aperçus qu’on avait un nid sous les pieds. Alors on s’est tassés pour ne pas la déranger. C’était un très beau moment parce qu’en plus on a pu protéger son environnement. »
C’est aussi un peu ce qu’Éric, qui est « un grand défenseur des animaux, cherchait [à faire avec ce livre], faire en sorte que les enfants apprennent pour pouvoir mieux les protéger. Et nous, on a pu le vivre. Toute la vie devient tellement plus le fun quand on s’y attarde », conclut Mathilde Cinq-Mars, qui s’avoue toujours habitée par cette expérience.
Quand j’ai reçu les textes d’Éric, je me suis dit : “Enfin !” Il me donnait des clés, des anecdotes cocasses, il venait faire des liens entre les oiseaux, les gens et le territoire. Et ça, ça m’a touchée.