Le Devoir

La vie devant soi ou les variations d’un classique

Sophia Loren reprend le rôle de Madame Rosa imaginé par Romain Gary et immortalis­é par Simone Signoret

- GRAND ANGLE FRANÇOIS LÉVESQUE LE DEVOIR

En 1975, le romancier Romain Gary accomplit un exploit demeuré inégalé. En effet, avec

La vie devant soi, il remporta pour une seconde fois le prix Goncourt après que son précédent Les racines du ciel l’eut obtenu en 1956. Or, l’auteur garda pour lui son triomphe, ayant signé La vie devant soi sous le nom de plume d’Émile Ajar. Ce n’est qu’après sa mort, en 1985, que le milieu littéraire, qui s’était plu à déclarer Gary ringard, fut confronté à sa bêtise. Dans l’intervalle, La vie devant

soi prit valeur de classique moderne. Après une première adaptation en 1977 avec Simone Signoret, l’histoire de Madame Rosa, telle qu’elle est racontée par le jeune Momo, revit avec cette fois Sophia Loren en figure de proue. Retour sur l’oeuvre originale et ses différente­s itérations.

L’ouverture du roman est merveilleu­sement évocatrice dans sa manière d’esquisser ce personnage plus grand que nature avec les mots d’un orphelin qui rouspète (donnant ainsi le ton), mais aime profondéme­nt cette mère qu’il s’est choisie, et sur qui il veillera jusqu’à la fin après lui avoir promis qu’on ne l’emmènerait pas mourir à l’hôpital.

« La première chose que je peux vous dire, c’est qu’on habitait au sixième à pied et que, pour Madame Rosa, avec tous ces kilos qu’elle portait sur elle et seulement deux jambes, c’était une vraie source de vie quotidienn­e, avec tous les soucis et les peines. Elle nous le rappelait chaque fois qu’elle ne se plaignait pas d’autre part, car elle était également juive. Sa santé n’était pas bonne non plus et je peux vous dire aussi dès le début que c’était une femme qui aurait mérité un ascenseur. »

Tout est là, de la présence physique de Madame Rosa aux sentiments contradict­oires, mais finalement pas tant, qu’elle inspire à Momo. Quant à cet ascenseur qu’elle aurait mérité, le dénouement venu, et bien avant, on ne peut qu’acquiescer tant il s’avère que, sous ses dehors bourrus, cette femme-là est extraordin­aire.

Du grand Signoret

Dans son film de 1977, Moshé Mizrahi reprend cette introducti­on qu’il met en images à l’identique. Son adaptation est très fidèle, notamment dans son traitement du fait que Madame Rosa, une survivante des camps de concentrat­ion, cache des origines juives qu’elle ne retrouve que dans son « trou juif » sous l’escalier de l’immeuble, où elle se réfugie parfois. Ce, face à Momo, qui est musulman. Prompte à formuler des commentair­es racistes sur les Arabes, Madame Rosa s’assure pourtant que Momo soit instruit des préceptes musulmans par son vieil ami Monsieur Hamil.

Une masse de contradict­ions, Madame Rosa. Et un personnage propre à faire rêver n’importe quel interprète.

Ce que reconnut à l’époque Simone Signoret : contre l’avis de son mari, Yves Montand, elle accepta d’incarner cette ancienne prostituée qui, depuis sa « retraite », veille sur les enfants de consoeurs plus jeunes moyennant une maigre pension. Il faut dire que le rôle de Madame Rosa avait une résonance particuliè­re dans la filmograph­ie de la comédienne rendue autrefois célèbre par des rôles, justement, de prostituée­s, dans les chefs-d’oeuvre Dédé d’Anvers et surtout Casque d’Or.

L’actrice ne s’en laissa pas moins désirer un brin. C’est que, aussi formidable soit-il, le rôle nécessitai­t une importante prise de poids, des tenues peu avantageus­es, et un assortimen­t de trucages (vieillisse­ment du visage, rembourrag­e aux jambes, coton dans les joues). Trucages dont on n’a guère conscience tant Signoret livre une performanc­e remarquabl­e, saluée à raison par un César. Quant au film, il repartit en 1978 avec l’Oscar du meilleur long métrage en langue étrangère. Dans une entrevue à l’émission

CinéTVO coïncidant avec la sortie de ses mémoires La nostalgie n’est plus ce

qu’elle était, Simone Signoret n’avait que de bons mots pour l’approche discrète de son réalisateu­r : « Cette mise en scène a une énorme qualité à mon goût. C’est qu’elle n’est absolument pas voyante, qu’elle n’est pas putain une seconde, qu’elle n’est pas le résultat du metteur en scène qui veut se faire plaisir à tout prix pour épater les copains avec des mouvements d’appareil. Elle est exactement ce qu’elle doit être, c’est-à-dire au service d’une histoire et de personnage­s. »

Ajoutez à cela une direction photo intimiste de Nestor Almendros (Le genou de Claire, Le dernier métro, Le choix de Sophie) et une musique évocatrice de Philippe Sarde (Le chat et La veuve Couderc, déjà avec Signoret)… Superbe Sophia Loren Bref, la barre était haute pour la nouvelle adaptation réalisée par Edoardo Ponti. Qu’en est-il ? Le résultat est soigné, mais dénué de personnali­té.

 ?? NETFLIX ?? Délaissant son glamour coutumier, Sophia Loren fait sienne la truculence de Madame Rosa et partage avec Ibrahima Gueye, une révélation dans le rôle de Momo, une remarquabl­e complicité.
NETFLIX Délaissant son glamour coutumier, Sophia Loren fait sienne la truculence de Madame Rosa et partage avec Ibrahima Gueye, une révélation dans le rôle de Momo, une remarquabl­e complicité.

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