Le Devoir

Les premières batailles du duo Biden-Harris

- ANNABELLE CAILLOU

Après plusieurs jours de suspense, les candidats démocrates Joe Biden et Kamala Harris ont pu enfin célébrer leur victoire, samedi. Mais le président désigné plongera rapidement la tête la première dans la préparatio­n de son mandat, qui débutera le 20 janvier prochain, jour de son assermenta­tion. Entre la pandémie de coronaviru­s, les changement­s climatique­s, le racisme systémique et des relations internatio­nales tendues, le 46e président des États-Unis et sa colistière ont du pain sur la planche. Tour d’horizon des premiers défis qui les attendent. Lutter contre la COVID-19

Le ton avait déjà été donné lors de la campagne électorale. Pendant que Donald Trump multipliai­t les rassemblem­ents en personne — dont plusieurs ont été la source d’éclosions de COVID-19 —, le camp démocrate s’en tenait à des événements virtuels ou à des rassemblem­ents où chacun restait dans sa voiture. Samedi soir, le président désigné a confirmé vouloir faire de la lutte contre la pandémie une priorité.

« Notre travail commence par la maîtrise de la COVID-19. Nous ne pouvons pas réparer l’économie, restaurer notre vitalité ou savourer les moments les plus précieux de la vie […] tant que nous n’aurons pas maîtrisé ce virus », a-t-il déclaré lors de son discours de victoire au Delaware.

Il a ainsi promis de s’y attaquer dès lundi en nommant un groupe d’une cinquantai­ne de scientifiq­ues et d’experts qui conseiller­ont son équipe et permettron­t d’élaborer un plan d’action prêt à entrer en vigueur à son arrivée à la Maison-Blanche. L’ancien administra­teur de la santé publique Vivek Murthy et l’ancien commissair­e de l’Agence américaine des produits alimentair­es et médicament­eux (FDA) David Kessler seront aux commandes de cette cellule de crise.

La pandémie a déjà fait plus de 237 000 morts aux États-Unis, pays le plus touché au monde et qui continue de battre des records de contaminat­ions ces derniers jours. Plus de 122 000 nouveaux cas ont été recensés dans les 24 dernières heures. La veille, on en comptait plus de 127 000.

« Beaucoup d’Américains sont critiques de la gestion de la pandémie de Donald Trump, qui va contre l’avis des scientifiq­ues, note Daniel Béland, directeur de l’Institut d’études canadienne­s de l’Université McGill. C’est un des facteurs qui ont mené Joe Biden à être élu ; rien d’étonnant qu’il en fasse sa priorité une fois élu. Il va vouloir rassurer les gens, montrer qu’il prend ça au sérieux et est à l’écoute des experts. »

À son avis, le défi sera de taille puisque Joe Biden devra collaborer avec les États, principale­ment responsabl­es de lutter contre la pandémie, afin de changer le discours transmis à la population pour obtenir son adhésion à des mesures plus strictes, comme le port du masque et la distanciat­ion physique. « Le président désigné devra débloquer des ressources pour aider les États à mettre en place ces mesures. Il faudra aussi, comme dans tous les pays, qu’il trouve le juste équilibre entre santé publique et économie. »

M. Biden compte aussi annuler la procédure de retrait des États-Unis de l’Organisati­on mondiale de la santé, lancée par M. Trump en juillet.

Décrocher la majorité au Sénat

Si le Sénat reste entre les mains des républicai­ns, ces derniers pourraient mettre des bâtons dans les roues au prochain gouverneme­nt. Rien n’est joué pour le moment puisqu’un second tour pour deux élections sénatorial­es est prévu en Géorgie le 5 janvier.

« C’est la prochaine bataille de Joe Biden. Il va certaineme­nt être très présent dans cet État les prochains mois pour espérer obtenir les deux sièges en jeu et faire basculer la majorité dans le camp démocrate », explique Daniel Béland.

Avant l’élection, les républicai­ns détenaient la majorité au Sénat, avec 53 sièges sur 100. Trente-cinq sièges étaient en jeu lors de l’élection, mardi, et les démocrates sont parvenus à réduire un peu l’écart. Si ces derniers obtiennent les deux sièges de Géorgie, les deux partis seront à égalité. La Constituti­on prévoit alors que la vice-présidente, en l’occurrence Kamala Harris, départager­a les éventuels votes à 50 sénateurs contre 50.

Les chances sont toutefois minces, selon M. Béland, la Géorgie étant un État historique­ment conservate­ur.

Il faudra, comme dans tous les pays, que Joe Biden trouve le juste équilibre entre santé »

p ublique et économie DANIEL BÉLAND

Toutefois, c’est Joe Biden qui est en voie de l’emporter pour la présidenti­elle, si le recomptage confirme le résultat.

« On va sûrement rester avec une majorité républicai­ne au Sénat. Mais Joe Biden connaît bien le fonctionne­ment, il a été sénateur pendant 36 ans, il pourrait adopter une approche centralisé­e pour espérer négocier avec les républicai­ns. Mais vont-ils vouloir collaborer ? C’est toute la question. »

Réunir le pays

L’unité du pays était un thème central de sa campagne électorale. Maintenant élu, Joe Biden aura la tâche de réconcilie­r un pays très divisé tant sur le plan politique que social. Il souhaite ainsi être le président de tous les Américains, pas juste celui des démocrates ou des électeurs qui ont voté pour lui.

D’ailleurs, son cabinet devrait inclure des représenta­nts de l’aile gauche du parti, mais aussi des centristes, voire quelques républicai­ns.

En tant que « président rassembleu­r », il veut aussi mettre l’accent sur la lutte contre le racisme et s’assurer de ne laisser personne derrière, souligne M. Béland. « Le choix de Kamala Harris comme vice-présidente va dans ce sens. C’est la première femme qui occupe le poste, la première Noire aussi. » Le gouverneme­nt démocrate devrait également faire davantage de place aux femmes et aux minorités.

« On s’attend par ailleurs à ce qu’il s’attaque à la brutalité policière contre les minorités ethniques. Ça va être un gros chantier. Il n’ira pas du côté du définancem­ent de la police, mais il va faire en sorte que les gens se parlent, se rencontren­t, se comprennen­t. C’est impossible d’éliminer le racisme systémique du jour au lendemain, mais, contrairem­ent à Donald Trump, Joe Biden a au moins montré un intérêt à diminuer ce problème », renchérit Philippe Fournier,spé cialiste de la politique américaine et chercheur au

Centre d’études et de recherches internatio­nales de l’Université de Montréal (CÉRIUM).

Détricoter le bilan Trump

En quatre ans, l’actuel locataire de la Maison-Blanche s’est affairé à détricoter une à une les mesures prises par son prédécesse­ur, Barack Obama. Joe Biden compte inverser la vapeur et signer une myriade de décrets pour annuler les décisions de Donald Trump, notamment en matière d’environnem­ent et d’immigratio­n.

Le président désigné souhaite ainsi rétablir le programme DACA adopté en 2012 par Barack Obama pour protéger les jeunes migrants illégaux (appelés « dreamers ») de l’expulsion. Il compte aussi revoir les quotas imposés par Donald Trump afin d’accueillir davantage de réfugiés, annuler le décret anti-immigratio­n qui interdisai­t l’accès aux États-Unis aux ressortiss­ants de plusieurs pays à majorité musulmane, et mettre fin à la séparation des familles de migrants à la frontière mexicaine.

Joe Biden a également promis de rejoindre à nouveau l’Accord de Paris sur le climat — que le pays a quitté officielle­ment le 4 novembre sous le gouverneme­nt Trump. « Il veut renverser la tendance et remettre en place des réglementa­tions environnem­entales que Donald Trump avait limitées, comme le Clean Air Act, qui vise à diminuer la pollution de l’air, et bien d’autres », souligne Philippe Fournier.

L’équipe du démocrate compte aussi présenter un plan de 1700 milliards $US pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. Mais sa capacité à faire adopter des législatio­ns climatique­s ambitieuse­s dépendra de la formation du prochain Sénat.

Améliorer les relations internatio­nales

La politique étrangère américaine ne va pas changer de façon radicale et n’est certaineme­nt pas une priorité pour Joe Biden, qui doit déjà sauver son pays de la crise sanitaire, estiment les experts consultés par Le Devoir. L’arrivée du démocrate permettra toutefois de rétablir des échanges respectueu­x entre les dirigeants et de recoller les morceaux après le passage de Donald Trump, qui usait davantage de menaces que de diplomatie.

Et c’est plutôt bien parti puisque de nombreux dirigeants ont salué avec enthousias­me l’élection du démocrate. Même le premier ministre israélien, Benjamin Nétanyahou, qui souhaitait la victoire de Donald Trump, a salué sa victoire. « On va certaineme­nt maintenir l’ambassade américaine à Jérusalem, mais il faut s’attendre à ce que Biden soit plus impartial dans le conflit entre Israël et la Palestine », soutient Philippe Fournier.

Le gouverneme­nt Biden sera également moins hostile envers l’Iran et, à l’inverse, moins amical avec la Russie. Quant aux alliés traditionn­els des États-Unis, qui se sont sentis délaissés, voire attaqués par Donald Trump, l’élection de Joe Biden permettra de retrouver de meilleures relations avec eux, moins tendues.

« On va aussi rouvrir les canaux de communicat­ion avec la Chine, que Donald Trump attaquait sans cesse. Mais on restera face à deux pays en forte concurrenc­e, tant économique que géopolitiq­ue. Le gouverneme­nt Biden va certaineme­nt garder un oeil sur la Chine, lui demander de respecter les droits de la personne, sans lui tordre le bras », conclut M. Fournier.

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ANDREW HARNIK ASSOCIATED PRESS La vice-présidente et le président désignés, Kamala Harris et Joe Biden, ont à peine célébré la victoire samedi qu’ils doivent déjà se mettre au travail.
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