Le Devoir

Quelle transition à l’ère de Donald Trump ?

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Malgré sa défaite à l’élection du 3 novembre, Donald Trump demeurera le président des États-Unis jusqu’à ce que Joe Biden prête serment, le 20 janvier prochain. Que se passera-t-il d’ici là ? Le Devoir en a discuté avec Pierre Martin, chercheur au Centre d’études et de recherches internatio­nales de l’Université de Montréal. Propos recueillis par Alexandre Shields. Est-ce que le président peut contester encore longtemps les résultats de l’élection ?

Il va y avoir une fin à la possibilit­é de contester les résultats du vote, parce que le contrôle du processus de dépouillem­ent appartient à chacun des États, et non à Donald Trump.

Il y a donc une limite à ce que des officiers du gouverneme­nt fédéral peuvent faire, même si Trump se croit président omnipotent. Il va y avoir des demandes de second dépouillem­ent dans les États où la marge de victoire est faible. Ça, c’est évident. Mais l’expérience démontre que ce genre de démarche va chercher quelques centaines de votes.

Dans les États où le dépouillem­ent se poursuit, il faut savoir que le processus n’est pas pris à la légère. Chaque vote est inspecté par un représenta­nt de chacun des deux partis, et pour être compté, un vote doit être approuvé par les deux partis. C’est très rigoureux. Il va falloir patienter encore pour avoir un résultat final et officiel, mais ce résultat ne sera pas très différent de ce qu’on observe aujourd’hui.

Donald Trump finira-t-il par concéder la victoire à Joe Biden ?

Non, il ne va pas concéder la victoire tant que tous les dépouillem­ents judiciaire­s ne seront pas terminés. À partir de ce moment, il va probableme­nt y avoir des forces à l’intérieur de son parti qui vont s’élever pour l’amener à prendre une décision raisonnabl­e pour le bien du parti. Je pense que plusieurs républicai­ns vont penser que ce n’est pas dans leur intérêt de faire partie de ceux qui sont les « mauvais perdants ».

Les républicai­ns ont probableme­nt gagné le pari de conserver la majorité au Sénat, même si ça reste à confirmer. Ils n’ont donc pas intérêt à laisser le président Trump venir s’immiscer dans l’exercice du pouvoir qu’ils auront au cours des quatre prochaines années, en raison du contrôle du Sénat. Cependant, Donald Trump et le Parti républicai­n, ce sont deux choses. Trump pense que le parti lui appartient. Mais parmi les élus du parti, il est possible qu’on se regroupe derrière la position voulant que Trump ait perdu et qu’on n’ait pas intérêt à demeurer derrière un perdant.

Est-ce que le Parti républicai­n existe sans Trump ou est-il devenu essentiell­ement le parti de Donald Trump ? Les prochaines semaines vont être importante­s pour répondre à cette question, puisque nous n’avons pas encore de réponse. Le Parti républicai­n a aussi un examen de conscience à faire. Vont-ils revenir à la norme voulant qu’on accepte un résultat démocratiq­ue et qu’on facilite la transition pacifique du pouvoir ? Ou est-ce qu’on va suivre la voie tracée par Trump ?

Est-il possible que le gouverneme­nt Trump complique le processus de transfert du pouvoir ?

Si Donald Trump donne aux plus extrémiste­s de ses partisans la justificat­ion d’agir d’une façon antidémocr­atique et violente, les scénarios les plus pessimiste­s sont permis. Mais pour le moment, on peut être encouragés par le fait qu’on n’assiste pas encore à ce genre de manifestat­ions.

Il y a aussi plusieurs choses qu’il peut faire pour nuire à la transition. Dans l’éventail de pouvoirs dont il dispose, il peut détruire les documents liés au gouverneme­nt, aux questions de sécurité nationale et à d’autres questions qui sont du ressort du président. Il peut donc faire en sorte qu’il y ait une page blanche pour son successeur.

La plupart des présidents qui tiennent à une transition douce vont donner à leur successeur les documents et les informatio­ns nécessaire­s pour comprendre l’état des différents dossiers. Donald Trump pourrait refuser de faire ça. D’ailleurs, personne ne s’attend à ce qu’il facilite la transition. Il peut aussi utiliser son pouvoir pour renvoyer des gens et mettre du désordre dans l’administra­tion des départemen­ts qui sont sous son autorité.

Le président peut-il encore faire adopter des lois ou des décrets ?

Les prérogativ­es constituti­onnelles du gouverneme­nt ne changent pas durant la transition. Les représenta­nts et les sénateurs sont tout aussi habilités à voter des lois et le président est tout aussi habilité à les signer ou à imposer son veto. Par convention, la plupart des présidents ont choisi d’être plus discrets, et donc de ne pas prendre de décision fondamenta­le durant cette période, à cause de la légitimité démocratiq­ue. Mais ce n’est pas une considérat­ion qui dérange beaucoup Donald Trump.

Il pourrait donc, par exemple, signer des décrets présidenti­els. Mais un décret qui est signé dans une période de transition est facilement démontable. D’autant plus que, pour mettre en place un tel décret, il faut plusieurs semaines, voire des mois. Il n’y a donc pas assez de temps pour qu’un décret présidenti­el substantie­l ait un effet notable. Ce qu’il peut faire, cependant, c’est épuiser toutes les possibilit­és de nomination­s judiciaire­s, comme des postes de juges. Par exemple, des juges conservate­urs plutôt âgés pourraient décider de partir. Dans ce cas, il ne fait aucun doute que les républicai­ns vont nommer des juges.

Il pourrait aussi, en théorie, faire adopter un plan de soutien financier aux Américains, qui est jugé nécessaire par plusieurs, mais le président Trump pourrait aussi dire non et imposer son veto.

Pourrait-on revoir Donald Trump en politique active ?

Oui. C’est permis par la Constituti­on, puisque seul un président qui a accompli deux mandats ne peut pas revenir. Ça s’est aussi déjà vu, à la fin du XIXe siècle avec Grover Cleveland, un démocrate, qui est revenu faire un deuxième mandat après avoir été battu après un premier mandat. Est-ce que Donald Trump aurait des chances de remporter l’investitur­e de son parti ? Absolument. Il aurait même de très bonnes chances. Il a un contrôle tellement fort et un appui tellement solide de la part d’électeurs qui lui vouent un culte qu’à l’intérieur du Parti républicai­n, il pourrait ne pas être contesté.

Je pense qu’il va demeurer sur la place publique pour exploiter au maximum sa notoriété et la monnayer, parce qu’il est endetté de 400 millions de dollars. Sa situation financière est désastreus­e, même si on ne connaît pas le solde exact de ses actifs.

 ?? MANDEL NGAN AGENCE FRANCE-PRESSE ?? Le président Donald Trump ne cesse de crier à la fraude électorale depuis les derniers jours, contestant faroucheme­nt la victoire de son adversaire démocrate, Joe Biden.
MANDEL NGAN AGENCE FRANCE-PRESSE Le président Donald Trump ne cesse de crier à la fraude électorale depuis les derniers jours, contestant faroucheme­nt la victoire de son adversaire démocrate, Joe Biden.

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