Une sélection de films écrits par Harold Pinter chez Criterion Channel
Criterion Channel propose une sélection de films écrits par le dramaturge
Dans The Servant, un bourgeois tombe sous le joug de son domestique. Dans Accident, un professeur convoite une étudiante fiancée à un autre étudiant. Dans The Pumpkin Eater, une femme dépressive tente de faire admettre son infidélité à son mari. Dans The Go-Between, une noble confie à un gamin la tâche de passer des mots doux à son amant fermier à l’insu de son riche soupirant. Dans The Comfort of Strangers, un jeune couple subit l’influence d’un second, plus âgé et animé d’intentions funestes. Qu’ont en commun ces films ? Ils traitent tous, en filigrane, du pouvoir que d’aucuns exercent sur autrui. Et tous ont été écrits par Harold Pinter, à qui Criterion Channel consacre un passionnant cycle.
Lauréat du prix Nobel de littérature en 2005, Harold Pinter (1930-2008) fit d’abord sa marque au théâtre, avec notamment la pièce The Anniversary Party, en 1957, à présent considérée comme un classique. C’est en 1963 qu’il fit le saut au cinéma grâce à Joseph Losey, cinéaste avec qui il eut une relation très fructueuse, comme en témoignent les susmentionnés The Servant, Accident et The Go-Between, ce dernier lauréat de la Palme d’or à Cannes en 1971.
Exilé en Angleterre après avoir été nommé lors des infâmes audiences du Comité des activités antiaméricaines du sénateur McCarthy, Losey s’était d’ores et déjà forgé une réputation enviable lorsqu’il entreprit sa première collaboration avec Pinter, The Servant, librement adapté (comme toutes les adaptations signées Pinter) d’un roman de Robin Maugham. Dans le recueil d’entretiens Le livre de Losey, de Michel Ciment, le cinéaste notoirement peu porté sur les compliments déclara à propos du versant cinématographique du travail de Pinter : « Dans le dialogue, il est brillant. Dans l’économie de l’écriture, il est extraordinaire. Dans l’évocation visuelle, il est magnifique, avec un sens de la forme et de la structure. »
Lorsque Ciment lui demanda ce qu’ils avaient en commun, Pinter et lui, Losey répondit : « L’observation des personnages. »
Domination et asservissement
On touche là, en l’occurrence, à l’essence des préoccupations de Harold Pinter : « l’observation de personnages », et plus spécifiquement, la manière dont les uns, sous une belle surface lisse et un vernis de politesse, cherchent à manipuler les autres (un thème qui ne pouvait qu’interpeller Losey, compte tenu de son passé). C’est vrai du serviteur machiavélique dans The Servant, du professeur hideusement opportuniste dans Accident, de la jeune noble consciente de la pâmoison de l’enfant qu’elle utilise dans The Go-Between, des époux malveillants vis-à-vis des mariés naïfs dans The Comfort of Strangers…
Ce l’est assurément dans The Handmaid’s Tale, d’après Margaret Atwood, où l’héroïne essaie de se réapproprier son corps et son esprit dans le contexte d’un régime totalitaire misogyne. Ce l’est même dans un exercice de mise en abyme comme The French Lieutenant’s Woman, où l’actrice et l’acteur qui jouent aux amants maudits dans un film d’époque en cours de tournage, ont dans la vie une liaison empreinte de jeux de pouvoir.
Harold Pinter était parfaitement conscient de sa fascination pour l’idée de contrôle et pour les tensions qui ne pouvaient manquer d’en résulter. Dans une entrevue de 1967 accordée à Lawrence M. Bensky pour Writers at Work : the Paris Review Interviews, il expliquait : « Le monde est un endroit assez violent, c’est aussi simple que cela, donc la violence dans les pièces s’impose tout naturellement. Ce me semble être un facteur aussi essentiel qu’inévitable […] La violence n’est vraiment qu’une expression de la question de la domination et de l’asservissement, laquelle question est possiblement un thème récurrent dans mes pièces. »
Plus loin, Pinter précise que c’est cette notion de domination et d’asservissement qui l’a poussé à adapter The Servant : « Je n’appellerais pas cela tant de la violence qu’une bataille de positions ; c’est une chose commune, de tous les jours. »
Peut-être, ici, convient-il de souligner que Harold Pinter, fils d’un tailleur juif, grandit dans le quartier pauvre de l’East End, à Londres, où il eut souvent maille à partir avec des concitoyens fascistes. S’il lui arriva de s’en tirer avec ses poings, il privilégia, chaque fois qu’il le put, les mots et une forme, oui, de manipulation. Ce, afin de développer un ascendant sur son assaillant du moment.
Pinter relate d’ailleurs un tel épisode dans ledit entretien. Ce dont rendent compte ses personnages.
Les personnages d’abord
Des personnages qui l’emportent en outre sur tout, y compris l’histoire, qui revêt rarement chez Pinter une forme classique. Ce qui, à l’occasion, n’est pas sans dérouter les chantres d’une approche narrative plus traditionnelle.
Paul Schrader, réalisateur doué (Mishima : A Life in Four Chapters, First Reformed), scénariste célébré (Taxi Driver, Raging Bull) et auparavant critique estimé (Transcendental Style in Film : Ozu, Bresson, Dreyer), résume avec éloquence pour la Collection Criterion ce constat au détour d’une anecdote concernant The Comfort of Strangers, que Pinter adapta pour lui d’un roman de Ian McEwan, en 1988.
« Les gens s’attendent à ce que [le film] soit un thriller. Et ils s’attendent à ce que l’intrigue ait du sens en tant que thriller. Mais ça n’a de sens que par rapport aux personnages. Il y a de longues scènes qui paraissent n’aller nulle part, parce qu’il s’agit de scènes de personnages, et qu’il s’agit de scènes de Pinter […] Et ce dont plusieurs personnes se plaignent, c’est ce qu’est le film. La plupart des critiques à Londres furent très bonnes, mais dans une critique négative on pouvait lire : “Harold Pinter ne sait de toute évidence pas comment écrire un scénario de film. ” Eh bien, ce que cette personne dit, c’est que Pinter n’écrit pas le genre de scénarios qu’écrivent les autres. »
On ne saurait trouver meilleure formule. Ou conclusion.