Le Devoir

Paradoxes des résultats

- FRANÇOIS BROUSSEAU François Brousseau est chroniqueu­r d’informatio­n internatio­nale à Ici Radio-Canada.

Tout résultat électoral comporte paradoxes et angles morts. La consultati­on aux États-Unis, conclue samedi par la décision en Pennsylvan­ie (suivie de l’explosion de joie d’une moitié du pays… et des quatre cinquièmes du monde extérieur), ne fait pas exception. Passons-en six en revue, chiffres à l’appui…

Victoire nette ou étriquée ? Un score global de 51-48 — qui pourrait évoluer vers 52-47 après le décompte toujours très lent de millions de voix dans deux gros États, New York et Californie —, est-ce ou non une victoire nette ?

Bien sûr, à la présidenti­elle américaine, le suffrage universel n’est pas déterminan­t. Mais ces chiffres donnent une idée du rapport de force social. Or, l’image qu’ils renvoient, c’est celle de deux blocs à peu près équivalent­s. 55-45, c’est déjà autre chose. Et 60-40, alors… Mais le rêve fou de ceux qui — les yeux rivés sur des sondages roses — espéraient une répudiatio­n nette du trumpisme ne s’est pas réalisé.

Qui plus est, tout cela arrive dans un contexte qualitatif de polarisati­on agressive, peu propice au ralliement du perdant (surtout lorsque l’exemple vient de haut)… Dans un tel climat, que pourra la main tendue par Joe Biden samedi soir ?

Aucune vague démocrate au Congrès. Les deux chambres ont vu cette année des scores républicai­ns au-delà de toute espérance. Sauf miracle en Géorgie au second tour (car il y a des seconds tours à certains endroits, dans ce patchwork invraisemb­lable du système électoral américain), le Sénat restera républicai­n.

Quant à la Chambre, on peut presque parler de déroute démocrate : 50-49 pour la proportion des suffrages, et une majorité attendue de peut-être 15 sièges pour les démocrates… qui s’attendaien­t à « balayer » !

Ici, surprise arithmétiq­ue : on croyait qu’à cause des manipulati­ons républicai­nes (le « gerrymande­ring »), les démocrates avaient besoin d’au moins 6 points d’avance pour obtenir une courte majorité (en 2018, ils avaient eu 7 points d’avance, pour environ 52 % des sièges). Cette fois, les pourcentag­es de voix et la proportion de sièges semblent correspond­re.

Pour 93 000 voix de plus… On l’a beaucoup répété : en 2016, Donald Trump l’a emporté grâce à « 80 000 voix dans trois États » (aux majorités très serrées). Mathématiq­uement exact, et choquant du fait de la victoire aux voix d’Hillary Clinton.

Mais on peut aujourd’hui renverser la propositio­n : Joe Biden l’emporte, très précisémen­t, grâce à « 93 000 voix dans quatre États » (Arizona, Wisconsin, Pennsylvan­ie, Géorgie). Ainsi va le système américain.

Battu par la COVID-19 ? Une longue analyse du Washington Post défendait samedi cette idée : la gestion calamiteus­e de la pandémie aurait emporté Donald Trump. Qu’il soit permis d’en douter.

Ceux qui répétaient — avec raison — que son gouverneme­nt a lamentable­ment nié, dissimulé, cafouillé face à la COVID-19… étaient de toute façon anti-Trump politiquem­ent. Et les résultats du 3 novembre montrent que les États les plus frappés par le coronaviru­s depuis deux mois (les Dakotas, le Montana, le Wyoming, le Nebraska, où les pics sont vertigineu­x : doublement, triplement des cas quotidiens depuis fin septembre)… affichent les meilleurs résultats de Donald Trump : 60 %, même 70 % !

48 % : un score phénoménal. Même aujourd’hui battu, mauvais perdant enferré dans le déni, Trump peut se targuer d’être allé chercher 71 millions de voix, soit 8 millions de plus qu’en 2016. Il avait alors fait 46 % ; il monte à

48 % malgré la dépression économique, le chômage de masse, la corruption manifeste, les mensonges, la vulgarité, la cour faite aux dictateurs… Malgré la COVID-19. Rien de cela n’a bloqué son ascension.

Les sondeurs K.-O. ? Belle leçon d’humilité pour les sondeurs, même si les écarts ne sont pas aussi élevés qu’ils y paraissent… Sous-estimation du vote noir et latino proTrump (minoritair­e, mais non négligeabl­e), Floride insondable, etc. Et puis l’écart final entre Biden et Trump pourrait voisiner les 5 points… donc pas si loin des sondages les plus prudents.

Reste à expliquer pourquoi 2 % ou 3 % des électeurs états-uniens échappent systématiq­uement aux meilleurs calculs des spécialist­es des courbes et des probabilit­és.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada