Le Devoir

Des clés pour les grands concerts

- CHRISTOPHE HUSS

Les résultats de l’étude sur la tenue de concerts de grande ampleur, menée en août en Allemagne, ont été rendus publics. Encouragea­nts, ils amènent aussi une réflexion sur les protocoles en usage jusqu’ici.

En pleine deuxième vague, l’équipe du professeur Stefan Moritz du Départemen­t des maladies infectieus­es de l’Université de Halle a publié les résultats plutôt encouragea­nts de son étude « Restart-19 », réalisée en août 2020. Celle-ci visait à jauger la manière dont on pourrait organiser des concerts pop. « Oui, il pourrait y avoir des événements majeurs pendant une pandémie », dit le professeur Moritz.

L’expérience « Restart-19 », qui avait eu une résonance internatio­nale cet été, avait été présentée dans Le Devoir du 24 août dernier : 1700 volontaire­s avaient permis à l’équipe de chercheurs de déterminer quelle pourrait être la meilleure organisati­on possible d’un concert en vue d’éviter des contaminat­ions. Le chanteur pop Tim Bendzko avait accepté de donner trois mini-concerts à Leipzig sous différents formats, avec plus ou moins de spectateur­s et de distance entre eux, ainsi que des mesures d’hygiène variables.

N’étaient admis que les participan­ts jeunes et en bonne santé, afin de limiter les risques de contaminat­ion. Le but était de « poser les jalons d’un redémarrag­e dans toute l’Allemagne du secteur du divertisse­ment », résumait alors Armin Willigmann, ministre de la Recherche de la région Saxe-Anhalt, subvention­neur du projet à hauteur de 1,5 million de dollars canadiens.

Déclarés négatifs à un test de dépistage de la COVID-19 et portant un masque, les participan­ts avaient sur eux un appareil suivant leurs déplacemen­ts et contacts. Des produits fluorescen­ts permettaie­nt d’observer les surfaces touchées et l’université avait développé une méthode pour mesurer les trajectoir­es des aérosols exhalés par les spectateur­s.

Ventilatio­n et masques

L’étude, publiée le 28 octobre, n’a pour l’instant pas été révisée par des pairs. C’est donc une pierre de plus à l’édifice de la connaissan­ce et non une source de protocoles applicable­s. Le professeur Stefan Moritz met en avant le concept de ventilatio­n. « La ventilatio­n de l’endroit détermine si un événement peut avoir lieu ou non », dit-il dans une vidéo résumant les conclusion­s de l’étude. Cette conclusion émane d’une simulation informatiq­ue des trajectoir­es d’aérosols démontrant qu’une ventilatio­n incorrecte peut engendrer un risque infectieux, quelles que soient les autres mesures.

Le second point à ses yeux est le plan de salle, garant du respect de la nécessaire distanciat­ion. « Avec une distanciat­ion modérée, on peut développer des protocoles qui rendent ces manifestat­ions très sécuritair­es », déclare-t-il.

En clair : « les paramètres de ventilatio­n déterminen­t le plan de salle, la distanciat­ion des spectateur­s » et donc la jauge. Lors de l’expérience, 1700 spectateur­s remplissai­ent un hall pouvant en accueillir jusqu’à 8600. Mais les auditeurs étaient assis (condition sine qua non) de façon à laisser une place de libre entre personnes ne provenant pas du même foyer. Recommanda­tion des chercheurs qui se démarque notablemen­t des protocoles en usage ici : « Le masque doit être porté à tout moment en position assise. Cela réduit considérab­lement le risque. »

Le professeur Moritz consent que les points problémati­ques restent l’accès au lieu de l’événement et les éventuelle­s pauses, qu’il faut raccourcir au maximum : « Notre étude montre qu’il y a de nombreux contacts, mais de très courte durée. S’il y a embouteill­age, les durées de contact s’allongent. Il faut donc multiplier les points d’entrée.

Les chercheurs recommande­nt aux pouvoirs publics d’investir dans des systèmes performant­s de ventilatio­n pour les arénas et les salles recevant concerts et événements sportifs, « car la pandémie va nous accompagne­r un certain temps »

» Au Canada, le facteur d’exposition à risque est de 15 minutes à moins de 2 mètres.

Limites de l’étude

Les chercheurs recommande­nt aux pouvoirs publics d’investir massivemen­t dans des systèmes performant­s de ventilatio­n pour les arénas et les salles recevant concerts et événements sportifs, « car la pandémie va nous accompagne­r un certain temps », croient-ils.

Impliqué dans l’étude, le professeur Rafael Mikolajczy­k, de l’Institut d’épidémiolo­gie médicale, de biométrie et d’informatiq­ue de la Faculté de médecine de l’Université de Halle, a mis au point un modèle de simulation épidémiolo­gique en prenant pour exemple Leipzig. Selon lui, en cas de faible incidence de COVID-19 (10 cas pour 100 000 habitants), un événement majeur aurait peu d’effet sur le développem­ent de l’épidémie. Si l’incidence est élevée (plus de 100 cas pour 100 000 habitants), les grands événements pourraient causer jusqu’à 20 % des infections.

Les chercheurs assurent que si toutes les règles sont respectées, un événement majeur lors d’une pandémie pourrait être plus sûr que la vie quotidienn­e.

La lecture détaillée de l’étude soulève cependant une question majeure. On découvre ainsi qu’elle a été réalisée avec des masques N95, auxquels le public n’a pas accès dans la vraie vie. Ce n’est pas forcément une erreur de méthodolog­ie, selon la Dre Marie-France Raynault, cheffe du Départemen­t de santé publique et de médecine préventive du CHUM : « Si cela se passait ici et que j’étais le chercheur principal, j’aurais de grosses discussion­s avec le comité d’éthique de mon hôpital qui me poserait des questions sur la protection réelle des couvre-visages. Ce sont peut-être des considérat­ions de ce type qui ont amené l’utilisatio­n de N95. »

La Dre Raynault considère que « c’est une limite de l’étude », qui a probableme­nt des conséquenc­es sur un possible excès d’optimisme sur la tenue de manifestat­ions de masse en temps de pandémie, mais pas forcément, à terme, une limite fondamenta­le aux études en général. « Nous sommes en train de développer des standards pour les couvre-visages et, potentiell­ement, plus tard, une norme. À ce moment-là, des études pourront être réalisées dans des conditions plus proches de la vie réelle. »

L’excès d’optimisme ne dévalorise aucunement les autres conclusion­s fort pertinente­s qui ressortent de cette étude : distanciat­ion et rapport entre ventilatio­n et plan des salles, aucune manifestat­ion avec public debout et réflexion sur la pertinence de garder le masque en tout temps.

 ?? ARMANDO FRANCA ASSOCIATED PRESS ?? Selon les chercheurs, à une ventilatio­n adéquate, un plan de salle tenant compte de la distanciat­ion physique et un public assis s’ajoute une recommanda­tion qui se démarque : « le masque doit être porté à tout moment en position assise ».
ARMANDO FRANCA ASSOCIATED PRESS Selon les chercheurs, à une ventilatio­n adéquate, un plan de salle tenant compte de la distanciat­ion physique et un public assis s’ajoute une recommanda­tion qui se démarque : « le masque doit être porté à tout moment en position assise ».

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