Une année sans bals pour les musées
L’annulation d’activités philanthropiques force les musées à se réinventer
Dans le secteur muséal, l’enjeu financier créé par la COVID-19 n’est pas uniquement lié à la baisse de revenus de billetterie. Les musées, même subventionnés par l’État, misent beaucoup sur des activités philanthropiques pour boucler leurs budgets. Or, celles-ci sont aussi proscrites que les expositions. Se réinventer est une affaire de gros sous.
Danielle Champagne, la directrice de la Fondation du Musée des beauxarts de Montréal (MBAM), essaie de voir du positif là où d’autres broieraient du noir. Si la crise sanitaire a rendu impossible la tenue de l’annuel et couru bal du MBAM, qui aurait dû se tenir le premier samedi de novembre, Mme Champagne a été quitte pour des vacances.
« C’est la première fois en vingt ans que je ne travaille pas 20 heures par jour pendant la semaine [qui précède le bal] », dit-elle. Qu’à cela ne tienne, la Fondation a joué de transparence avec un plan B baptisé Ceci n’est pas un bal. Comme le nom l’indique, il s’agit d’autre chose, soit d’un encan virtuel. Étalé sur plusieurs jours, il prend fin jeudi.
Bon an mal an, le bal permet d’amasser autour de 2 millions. « Les objectifs ont été revus à la baisse. Il y a des dépenses associées à ça, corrige Danielle Champagne. On parle plutôt de 1,6 million en revenus nets. C’est sûr que cette année, on n’ira pas chercher ça. »
Au Musée d’art de Joliette (MAJ), l’année 2020 affiche un manque à gagner d’un demi-million de dollars. « Six cent cinquante mille, précise son directeur, Jean-François Bélisle, dont les deux tiers sont de source philanthropique, tombés à zéro depuis mars. » Le bal annuel du printemps a été un des premiers rendez-vous annulés.
Un même son de cloche au Musée McCord et au Musée d’art contemporain. En annulant leurs bals annuels, dont ceux destinés aux donateurs de moins de 45 ans, leurs fondations se privent de dons variant entre 500 000 $ et le million de dollars.
Un souci généralisé
La Société des musées québécois publiait mardi les résultats d’un sondage mené en octobre auprès de ses membres. Intitulée « Impacts de la COVID19 sur les institutions muséales », l’enquête révèle que les pertes « confirmées » de revenus entre les 1er avril et 30 septembre dépassent les 34 millions.
Même avec la réouverture estivale des musées (et jusqu’au 1er octobre), on évalue à 20,4 millions le manque à gagner lié à la billetterie. La somme non perçue relative aux autres revenus autonomes (boutique, location, abonnements, dons) frôle les 14 millions selon les données recueillies. Malgré cet argent en moins, les musées ont dû assumer des dépenses de 2,2 millions, non prévues, pour respecter les mesures sanitaires.
Quelque 45 % des établissements sondés (120 sur 262) ont rempli le questionnaire. Parmi ceux-ci, 91 auraient reçu des subventions en lien avec la pandémie, un montant cumulatif de 34 millions en provenance de programmes fédéraux ou provinciaux en place depuis mars. Mais la situation ne cesse d’inquiéter.
À la question « Quelles sont vos principales préoccupations en lien avec la santé financière de votre institution », la réponse la plus populaire, à 91 %, concerne « les pertes financières ». « Les liquidités » a été choisie par 34 % des musées, « l’endettement » par 19 % d’entre eux, alors qu’un gros zéro accompagne le quatrième choix, « aucune préoccupation ».
Mises triplées
Il a donc fallu réinventer les collectes, et les accepter moins lucratives. Ceci n’est pas un bal, le premier encan virtuel du MBAM, n’atteindra pas le 1,6 million d’un bal classique, mais pourrait quand même recueillir plus d’un million de dollars. Les lots mis en vente sont de trois types, allant de l’attendue oeuvre d’art au forfait vacances, en passant par le « lot symbolique », un parrainage d’une activité du musée, comme la restauration d’une pièce de sa collection.
Le MAJ s’est aussi tourné vers un encan en ligne, terminé il y a quelques jours, recueillant 143 000 $. OEuvres d’art et forfaits vacances étaient en jeu, mais aussi une quarantaine de bouteilles de vin — en tout, 63 lots. « C’est notre plus grand encan à vie », assure Jean-François Bélisle.
À Joliette comme à Montréal, les initiatives inusitées pour glaner des dollars ici et là ne se sont pas limitées aux ventes aux enchères. En décembre, le Musée McCord misera sur un « apéro virtuel » aux airs de revue de l’année. Un invité de marque sert d’attraction : Chapleau, dont l’expo de caricatures a été stoppée par la pandémie. Les billets en vente varient entre 100 et 200 dollars, selon le forfait « vin, gin ou champagne » choisi.
La Fondation du MAJ s’est montrée imaginative. Avec Tableaux de maître, une brève mini-exposition à 50 dollars l’entrée réunissant Brueghel l’Ancien, Matisse, Klimt, Warhol, on mise sur l’intimité de l’expérience. Il faut toutefois attendre que le gouvernement donne le feu vert à la réouverture des musées.
Plus immédiate et payante, sa campagne de sociofinancement lancée mardi repose sur le principe du « trois pour un ». Chaque don sera égalé par une subvention de Québec, grâce au Fonds Mille et UN pour la jeunesse COVID-19, puis par le président du conseil d’administration du MAJ. La campagne s’inspire du « défi du président » appliqué lors des bals pour stimuler les dons.
« On n’a pas inventé des modèles qui n’ont rien à voir avec nous. On s’est concentrés sur nos forces, sur l’art, sur notre communauté proche », raisonne Jean-François Bélisle, responsable de la philanthropie à la Fondation du MAJ.
À noter qu’à tous ces efforts s’ajoutent les campagnes annuelles de financement, maintenues dans chacun des musées contactés. Si la philanthropie s’est retrouvée en pause au printemps, elle est plus que sollicitée en cette fin d’année.