« Maintenant, le focus est sur nous »
Asbestos, championne de la COVID, au grand dam de son maire
Sur les portes du Club Aramis, une série d’affichettes avertissent le visiteur que le port du masque et le lavage de main sont obligatoires. À l’intérieur, une bouteille de gel hydroalcoolique trône sur une petite table à l’entrée de la grande salle vide, où les chaises sont rabattues sur les tables depuis que l’endroit a été contraint de fermer ses portes. « On a toujours respecté les mesures. On avait même un registre avant que la Santé publique ne l’oblige », dit Raymond Lapierre, président de ce club social d’Asbestos auquel on associe 15 cas de COVID. « On ne sait pas par où c’est rentré. »
Au-dessus du bar, la fameuse lumière rouge est allumée pour rappeler aux membres qu’une non-initiée est dans la place et que certaines choses ne doivent pas être discutées en sa présence. Derrière le comptoir, Yvan Martel, également administrateur au club, n’hésite toutefois pas à confier qu’il a lui-même attrapé la COVID. « J’ai eu de la fièvre, oui, j’ai fait la danse du bacon sous la couverte la semaine passée et [j’ai
eu] des difficultés à respirer pour quelques jours, mais rien de plus grave que ça », a-t-il raconté. Il a eu son congé de quarantaine en fin de semaine.
En date du 11 novembre, la Santé publique de l’Estrie recensait 122 cas actifs pour le Réseau local de service (RLS) des Sources, ce qui en fait — et de loin —, la région la plus infectée du Québec au prorata de sa population. La quasi-totalité des personnes atteintes de la COVID-19 se trouve à Asbestos, son chef-lieu de quelque 7000 habitants. « À un moment donné, c’était une autre ville et maintenant le focus est sur nous, oui. Mais c’est parce que les gens se font beaucoup tester. On est en train de se prendre en main », soutient Hugues Grimard, le maire d’Asbestos, qui s’appellera bientôt Valdes-Sources, un nouveau nom choisi par référendum par les résidents soucieux de faire oublier son lourd passé d’exploitation minière.
Du Quille-O-rama à l’aréna Connie-Dion, le virus s’est infiltré un peu partout ces dernières semaines. Parmi les éclosions « en cours », on compte notamment la résidence pour aînés
Manoir Jeffrey (23 cas), l’école secondaire l’Escale (5), l’hôpital d’Asbestos (moins de 5) et plusieurs entreprises agricoles ou du secteur alimentaire (plus de 35).
Vus comme des sorcières
Bien que fermé depuis la fin de semaine de l’Halloween, le Club Aramis, dont l’éclosion est toujours considérée comme en vigueur, est malgré tout montré du doigt par certains comme « l’endroit par où c’est rentré ». « Disons que le cri d’alarme s’est fait ici », explique Raymond Lapierre. Un des membres du club, qui n’éprouvait aucun symptôme, travaillait dans une autre ville pour une organisation qui exigeait qu’il passe un test de dépistage de la COVID-19. Ce dernier est ressorti positif, à la grande surprise du principal intéressé qui s’était réuni avec ses copains du club, surtout fréquenté par des retraités.
« On dirait qu’on est vus comme des sorcières. Mais on ne cultive pas de virus ici en secret », plaisante Raymond Lapierre. « Il y a eu [des cas] ailleurs, c’est juste que les gens n’en ont pas parlé. Ici, la minute qu’on l’a su, on l’a dit. On collabore avec la santé publique. C’est pas quelque chose à cacher », insiste-t-il.
Même si cela fait une mauvaise publicité à son club, l’important c’est d’être transparent. « On n’avait rien à perdre, mais plutôt tout à gagner », dit-il sagement. Et si le nombre de cas est aussi élevé au club, « ça veut dire qu’on était populaires. Je le prends positif ! » rigole pour sa part Yvan Martel.
Reste que les gens de cette petite bourgade désertée par les jeunes ont perdu un important lieu de socialisation. « Ici, c’est comme une grosse famille », dit M. Lapierre. Mais jusqu’à nouvel ordre, plus personne n’y viendra prendre un verre pendant le très couru 4 à 6, jouer « aux beignes » — un jeu de cartes populaire — ou jaser de vieux souvenirs du temps de la mine Jeffrey. « Pour certains, c’est comme un ressourcement de venir ici », souligne Yvan Martel.
Les activités, comme le pique-nique et le rallye dans le temps des couleurs, avaient déjà toutes été annulées. Celle des paniers de Noël est « sur la glace », depuis que toute l’Estrie vient de basculer en zone rouge, déplorent les deux hommes.
Basculer en zone rouge
Selon les règles de la Santé publique, 10 nouveaux cas quotidiens par 100 000 habitants peuvent faire basculer une région dans le rouge. Pour le RLS des sources (Asbestos), qui compte 15 000 habitants, il suffisait donc d’avoir 1,5 cas quotidien pour qu’une telle chose survienne.
Le maire Grimard se dit « énormément préoccupé » par le grand nombre de cas actuels. « Il y a un effort populationnel à faire. On pense toujours que ça se passe dans les grandes villes, mais on voit que c’est complètement faux. Il faut faire attention et redoubler d’efforts », a-t-il dit. Mais l’Estrie étant le seul bastion orange dans une mer rouge, il ne fallait pas se faire d’illusion. « Les gens des autres régions autour venaient ici se promener. Ça n’a pas aidé. »
Dans les couloirs de l’aréna Connie-Dion, quelques retraités déambulaient patins à l’épaule pour aller profiter une dernière fois de la glace fraîchement léchée par la Zamboni. « À ce temps-ci de l’année, on est d’habitude en train de lancer notre saison, mais on doit tout fermer », explique Daniel Garant, le coordonnateur de ce centre récréatif qui comprend l’aréna, mais aussi un centre de conditionnement physique. Toutes les activités cesseront à partir de vendredi. « On va se retrouver avec zéro activité, donc zéro revenu », ajoute-t-il. Ce qui pourrait coûter la saison 2020-2021 à cet OSBL, qui n’aura pas les moyens de payer ses frais fixes. « On est le seul aréna dans toute la MRC des Sources. On est indispensable dans la région », a dit M. Garant, à travers son masque.
Devant le très faible nombre de cas au printemps dernier, les habitants d’Asbestos se croyaient immunisés, mais les choses ont radicalement changé. « Les gens sont maintenant très sensibilisés, surtout depuis deux-trois semaines. On voit plein de cas proches de nous. On réalise que la bibitte est là, qu’elle est vraiment vivante. »
On a toujours respecté les mesures. On avait même un registre avant que la Santé » publique ne l’oblige. RAYMOND LAPIERRE