Racialisme et multiculturalisme
Le procès de la loi 21 est commencé depuis le début du mois de novembre en Cour supérieure du Québec. Certaines lignes fortes ressortent déjà des témoignages de ceux qui s’opposent à la Loi sur la laïcité de l’État. Le multiculturalisme canadien et le racialisme américain font désormais alliance pour saper la laïcisation du Québec qui s’est peu à peu mise en place depuis la Révolution tranquille.
Ces deux idéologies ont quelque chose en commun. Elles découpent la société en groupes suivant la race, la religion, le pays d’origine des ancêtres, et ainsi de suite. Dans un deuxième temps, elles établissent qu’en regard de leur poids démographique respectif dans la société, les groupes préalablement identifiés sont victimes de discrimination puisqu’ils sont sous-représentés dans tel ou tel corps d’emploi. Comme il n’y a jamais d’adéquation parfaite entre la proportion de personnes d’un groupe X ou Y qui travaillent dans un métier donné par rapport à sa proportion dans la société, il y aura toujours de la discrimination quelque part.
C’est ce que nous voyons dans le cas de la loi 21. Les experts appelés à témoigner contre celle-ci se succèdent à la barre et décrivent le Québec comme une société où l’exclusion est la norme, en particulier contre les femmes musulmanes. Pour expliquer le malaise de plusieurs Québécois par rapport au voile islamique, la question de l’égalité hommes-femmes est commodément évacuée. On invoque plutôt les réflexes discriminatoires de la majorité. La Loi sur la laïcité de l’État renforcerait cette tendance, tout comme elle en serait le reflet.
Quand la religion devient une race
L’idéologie racialiste américaine, suivant laquelle tout est une question de race, ajoute le racisme à cet édifice discriminatoire. Le Québec est ainsi vu à travers le prisme de l’histoire et de la culture américaine, comme si l’esclavage, la ségrégation, les émeutes raciales avaient joué ou continuaient de jouer le même rôle chez nous que chez nos voisins.
Le meilleur exemple de ce phénomène est le témoignage de Thomas S. Dee, un Américain professeur à l’Université de Pennsylvanie et spécialiste en diversité raciale. La English Montreal School Board et la Fédération autonome de l’enseignement (un syndicat de professeurs) lui ont commandé un rapport d’expert pour la modique somme de 28 000 dollars américains. Au fil des 35 pages du document déposé en cour, les mots « race » et « racial » reviennent à 37 reprises. Monsieur Dee établit bien sûr un parallèle entre le racisme aux États-Unis et la laïcité au Québec. Pour lui, la diversité aide à réduire « l’écart racial en matière de réussite… être éduqué par un professeur de couleur bénéficie à tous les étudiants, surtout à ceux de couleur ». Il n’est jamais venu à l’esprit de cet éminent professeur qu’il y a des chrétiens, des juifs et des musulmans, pour ne prendre que les trois grandes religions monothéistes, de toutes les couleurs de peau. Il n’y a aucun lien entre la foi religieuse, qui est une idéologie, et les attributs physiques des uns ou des autres.
Par ailleurs, il faut répéter que l’interdiction des signes religieux pour certains fonctionnaires vise toutes les religions. Cette approche garantit la liberté de conscience de tous, y compris les non-croyants. Elle protège de l’influence religieuse à la fois l’État et les individus. La laïcité constitue en fait une mesure inclusive et égalitariste.
Cette conception laïque de la société est née en France, mais elle existe aussi dans de nombreux pays où le catholicisme a été puissant. Chez nous, elle est toutefois incompatible avec le multiculturalisme d’État. Tout comme le bilinguisme, le multiculturalisme canadien a été inventé par Pierre Trudeau pour nier que le Québec constitue l’un des peuples fondateurs du Canada. Dans le cas qui nous occupe, cela explique l’intervention d’institutions ou d’individus venant de l’extérieur du Québec. C’est ainsi qu’une enseignante de Colombie-Britannique a témoigné de son opposition à une loi qui ne s’appliquera jamais à elle. C’est ainsi que l’Alliance de la fonction publique canadienne, dont les membres sont des fonctionnaires fédéraux aucunement concernés par la loi, est aussi partie dans la cause. C’est ainsi que la Commission canadienne des droits de la personne se mêle d’une cause qui ne concerne que les compétences provinciales. La loi 21 relève de la Commission québécoise des droits de la personne, laquelle ne se mêle pas du procès.
Pourquoi alors l’intervention de toutes ces bonnes gens ? Parce qu’il est inadmissible à leurs yeux que le Québec fasse des choix collectifs différents de ceux du Canada anglais, surtout sur les questions identitaires.
En fin de compte, le procès de la loi 21 a très peu à voir avec la justice. Pour des raisons politiques et idéologiques, les partisans du racialisme américain et ceux du multiculturalisme canadien s’opposent en fait au droit du Québec de prendre seul ses décisions dans ses propres champs de compétence. L’actuelle bataille nous dira si nous avons encore le droit d’exercer cette prérogative dans le régime fédéral.