Le Devoir

Un avenir difficile à entrevoir pour les chômeurs depuis mars

- ROXANE LÉOUZON ÉRIC DESROSIERS

Mercredi, David Beauchemin était animé par un regain d’espoir. Le trentenair­e était sur le point de passer une entrevue pour un emploi dans son domaine, la représenta­tion en vin. C’est une occasion qu’il n’attendait plus. Le sommelier de formation est au chômage depuis le tout début de la pandémie, quand les restaurant­s du Québec ont dû fermer leurs salles à manger.

« Il y a vraiment des moments où l’on sombre », confie celui qui fait partie des 448 000 chômeurs de longue durée au pays, selon les plus récentes données de Statistiqu­e Canada. « C’est difficile quand on ne voit pas d’avenir. L’impression de n’aller nulle part, c’est vraiment dur. »

Au départ, ça ne devait être qu’une mise à pied jusqu’en septembre. Mais la situation catastroph­ique dans le milieu de la restaurati­on a prolongé son chômage, au point où le Montréalai­s n’en voyait pas la fin. Au fil des mois et de sa recherche d’emploi, M. Beauchemin a craint de devoir quitter le domaine qui le passionne.

« Au début, tu vises des trucs précis, puis tu élargis au monde du vin en général, puis au monde de la nourriture… Ensuite, tu te dis que tu accepterai­s un peu n’importe quel emploi », souligne celui qui remercie le gouverneme­nt pour les programmes d’aide financière qui lui permettent de payer ses factures.

Au Mouvement Action-chômage (MAC) de Montréal, les intervenan­ts reçoivent justement une multitude d’appels de gens qui ont touché la Prestation canadienne d’urgence, puis qui reçoivent maintenant l’assurance-emploi.

« Beaucoup de gens n’ont pas retrouvé du travail depuis mars dernier, constate Jérémie Dhavernas, du MAC de Montréal. Si la crise dure, les gens vont avoir touché le maximum et ce sera direction l’aide sociale. »

La fragilité financière de plusieurs chômeurs s’accentue donc peu à peu.

Une forte augmentati­on

Dans son dernier portrait d’ensemble de la situation de l’emploi au pays, Statistiqu­e Canada expliquait vendredi dernier que l’évolution du chômage de longue durée va devenir un « indicateur clé » ces prochains mois. Or, bien que le nombre total de chômeurs qui cherchaien­t un emploi depuis au moins six mois sans succès fût encore en dessous, au mois d’octobre, des niveaux observés durant les récessions de 1981-1982 et de 1990-1992, il connaît actuelleme­nt sa plus forte augmentati­on depuis que des statistiqu­es comparable­s ont commencé à être publiées, en 1976.

Si la question revêt une telle importance, c’est que ce chômage prolongé peut infliger des dommages durables à la fois aux individus et à l’économie tout entière, explique Etienne Lalé, professeur d’économie à l’Université du Québec à Montréal. Chez les travailleu­rs, il est notamment associé à une plus grande précarité financière, qui se traduit parfois par des problèmes de santé mentale et physique, et même par une diminution de l’espérance de vie.

À mesure que passent les semaines, la menace d’une perte de savoir-faire profession­nel, d’une méfiance des employeurs potentiels et d’un sentiment de découragem­ent, qui peuvent conduire à accepter des emplois de moins bonne qualité ou à abandonner, tout simplement, grossit. Pour l’économie tout entière, cela présente le danger d’une reprise qui reste molle en plus d’un terrible gaspillage de capital humain.

Mais le Québec échappera peut-être au pire cette fois-ci, dit Etienne Lalé. « La crise actuelle est différente », note-t-il. Largement provoquées par la lutte des pouvoirs publics contre la pandémie de COVID-19, les pertes d’emplois actuelles n’auront probableme­nt pas le même effet culpabilis­ant et ostracisan­t sur les travailleu­rs que les autres récessions, d’autant plus que de nombreux employeurs ont conservé des liens avec leurs employés.

« Tout le monde est dans le même bateau, lance d’ailleurs David Beauchemin. J’aurais de la misère à imaginer que les gens me tiendraien­t rigueur de ne pas avoir travaillé pendant la pandémie. »

Toujours instable

Exceptionn­ellement généreux, les premiers programmes d’aide financière d’urgence ont probableme­nt contribué aussi à amortir le choc financier pour les chômeurs, note Etienne Lalé.

Le Québec a aussi « l’avantage » d’être entré dans la crise en situation de rareté de main-d’oeuvre, rappelle l’expert. « Cela devrait faciliter un redéploiem­ent des travailleu­rs des secteurs sinistrés vers les domaines où des emplois sont disponible­s »

Geneviève Godin travaille sur des projets artistique­s personnels et passe plus de temps avec ses enfants depuis qu’elle a perdu en mars son emploi sur appel au Musée des beaux-arts de Montréal. Sa baisse de revenus complique sa recherche d’un nouveau logement convenant au budget de sa famille. Mais elle est loin de se laisser abattre.

« Je ne lâcherai jamais mon domaine, affirme celle qui était aussi enseignant­e spécialisé­e en arts. Dans les arts, c’est toujours instable, alors je n’ai pas peur de ce qui peut arriver. » Elle suit présenteme­nt une formation dans l’espoir de donner prochainem­ent des cours en ligne.

David Beauchemin, de son côté, a combattu le découragem­ent en acceptant de petits boulots, comme faire de la taille dans un vignoble, et en se tournant vers des activités comme la lecture, la cuisine et le jardinage. Et il espère recevoir de bonnes nouvelles profession­nelles d’ici quelques jours.

Il y a vraiment des moments où l’on sombre DAVID BEAUCHEMIN »

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GETTY IMAGES Au fil des semaines, la menace d’une perte de savoir-faire profession­nel, d’une méfiance des employeurs potentiels et d’un sentiment de découragem­ent, qui peuvent conduire à accepter des emplois de moins bonne qualité ou à abandonner, grossit.

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