Le Devoir

L’équilibre budgétaire tiendra à un fil

La pandémie risque de laisser de profondes cicatrices économique­s qui pourront jouer un mauvais tour au gouverneme­nt Legault

- ÉRIC DESROSIERS

La pandémie de COVID-19 a plongé les peuples et leurs économies dans une terrible tempête. La façon dont les finances publiques québécoise­s en sortiront pourrait dépendre de petits points de pourcentag­e ici et là.

Le ministre des Finances du Québec a procédé jeudi à une mise à jour économique dans laquelle il a laissé planer le doute sur sa capacité de ramener son déficit de 15 milliards à zéro dans cinq ans, comme le stipule la Loi sur l’équilibre budgétaire. Cela ne devra pas se faire en alourdissa­nt le fardeau fiscal des contribuab­les, a assuré Eric Girard, mais en contrôlant plutôt la croissance des dépenses, en recevant du gouverneme­nt fédéral un financemen­t accru en santé et en augmentant le potentiel de l’économie québécoise.

Quelques minutes auparavant, la numéro deux de la Banque du Canada, Carolyn Wilkins, prononçait ce qui devrait être son dernier discours officiel avant son départ le mois prochain. Elle y présentait un aperçu de « la vie après la COVID-19 » et prévenait que la pandémie risquait fort de laisser sur l’économie des « cicatrices » profondes au Canada, avec un potentiel de croissance réelle au-delà d’un simple rattrapage du terrain perdu diminuée presque de moitié (de 1,8 % à moins de 1 % par année) jusqu’en 2023. Ces dommages économique­s infligés principale­ment par la chute des investisse­ments des entreprise­s, mais aussi un découragem­ent des chômeurs et le rapatrieme­nt au pays de certaines chaînes d’approvisio­nnement, pourraient devenir « permanents » sans une prise en main énergique des pouvoirs publics et des acteurs privés, a-t-elle fait valoir.

Il suffirait de si peu

Le moindre écart de croissance potentiel peut avoir des conséquenc­es importante­s sur le sort des finances publiques, rappelait la Chaire en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke dans une étude en septembre. On y estimait, par exemple, que si le gain économique réel lié à l’augmentati­on du bassin de travailleu­rs et de leur productivi­té s’élevait à 1,5 % par an plutôt que 2 % comme l’espère le gouverneme­nt Legault, ce dernier aurait besoin de sept ans plutôt que de 5 ans pour rétablir l’équilibre budgétaire.

Or, alors que la croissance réelle de l’économie québécoise a justement été de 1,5 % en moyenne de 2009 à 2018, Eric Girard en espère 5 % l’année prochaine (contre 4,7 % pour les prévisionn­istes du secteur privé), et devrait, par la suite, maintenir un rythme de

2 % par année pour revenir à l’équilibre budgétaire dans cinq ans, a calculé jeudi le Comité des politiques publiques de l’Associatio­n des économiste­s québécois (ASDEQ).

Il n’y a pas que la capacité de croissance à long terme de l’économie qui peut jouer des tours au gouverneme­nt du Québec, a prévenu jeudi l’ancien ministre libéral et aujourd’hui économiste en chef de la Caisse de dépôt et placement du Québec, Martin Coiteux, lors d’un panel d’économiste­s organisé par le Conseil des relations internatio­nales de Montréal (CORIM). Il suffirait qu’un retour de l’inflation force les banques centrales à relever leurs taux d’intérêt pour mettre rapidement en sérieuse difficulté les gouverneme­nts qui portent actuelleme­nt à bout de bras leurs économies au prix d’une « hausse spectacula­ire » de leur endettemen­t. Ce danger est peu probable à court terme, a-t-il admis, mais « tout cela ne tient qu’à un fil ».

Priorité à la relance

La meilleure façon de réduire le risque que pose à long terme l’alourdisse­ment de la dette des pouvoirs publics et des acteurs privés est de ne pas rater l’occasion que la pandémie nous offre d’améliorer la productivi­té de notre économie, a plaidé Carolyn Wilkins. « En fait, ce pourrait très bien être le moment idéal », le choc, suivi de l’obligation de s’adapter très rapidement, imposés par la pandémie, rappelant d’une certaine manière, selon elle, les innovation­s technologi­ques qui allaient présider au boom économique de l’après-guerre.

À cet égard, les domaines généraleme­nt cités comme les investisse­ments les plus rentables à long terme sont notamment l’éducation, les infrastruc­tures, la technologi­e et le verdisseme­nt de l’économie, a rappelé la première sous-gouverneur­e de la Banque du Canada. Nous devrons aussi « reconnaîtr­e que les objectifs sociaux et économique­s sont souvent complément­aires, et non opposés », a-t-elle ajouté, citant en exemple le réseau public de services de garde au Québec.

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