Le Devoir

Avec Pierre Lapointe pour traverser l’hiver

Chansons hivernales, ou l’album à tout faire des Fêtes : idéal pour célébrer, maugréer, chanter à tue-tête ou tout doucement, rire en famille ou pleurer tout seul

- ENTREVUE SYLVAIN CORMIER LE DEVOIR

Je pense que c’est une bonne chose qu’il y ait eu quinze ans pour rêver à ce disque. Il y a une variété de tons que je n’avais pas autant avant, je suis passé par tellement de genres que j’arrive à un meilleur équilibre.

PIERRE LAPOINTE

Les uns ronchonnen­t. Ah non ! Pouah ! Pas un autre album de Noël (grognement­s et grincement­s de dents). Les autres rayonnent. Ah oui ! Chic alors ! Un album de Pierre Lapointe pour vivre les Fêtes dans la joie et l’allégresse (avec les cousins-cousines, la tourtière du Lac). Vous savez quoi ? Que vous soyez du nombre des rébarbatif­s ou des grégaires du solstice d’hiver, des jouisseurs ou des dépressifs du coup de minuit le 24 décembre ou le 31, ce Pierre Lapointe entièremen­t composée de nouveautés destinées à devenir les « classiques de saison » du XXIe siècle est fait pour vous. Et parfait pour vous. Tous. « C’était mon but, et je pense que je l’ai atteint ! » lance le quasi-quadragéna­ire pas mécontent de son affaire.

Il y de quoi se flatter dans le sens du manteau de poil de coureur des bois de la photo de pochette signée Pierre et Gilles : la réussite est entière. Suffit de citer le refrain à entonner de

Chaque année on y revient, la chanson d’intro, pour comprendre l’unanimité de l’adhésion, pour entendre résonner les cloches de la grande réconcilia­tion, fut-elle éphémère. Que l’on adore ou que l’on abhorre Noël (ou les deux, selon l’année), ce diable d’ange ailé cornu qu’est Pierre Lapointe vous a compris. « La famille a ce “je-ne-sais-quoi” / Qui fait du bien / Même si elle nous dégoûte parfois / Chaque année, on y revient / Paraît qu’on appelle ça / la magie de Noël ».

Le défi de la pandémie

Magie et demie que ce disque produit en pleine pandémie et en totale canicule, courtepoin­te façon Lapointe d’enregistre­ments, mixages et matriçage effectués dans une dizaine de studios à Montréal, Paris, Florence et Los Angeles. OEuvre de dentellièr­e à l’ère du numérique, groove d’enfer malgré le décalage horaire, joie des contacts, sudations et entrelacs entre humains à distance sécuritair­e. Pour résumer : l’art de toucher sans se toucher. « Ça fait quinze ans que je rêve d’un album de Noël ! »

On se rappellera qu’il fut à l’origine de Noël sans pluie, chanson interprété­e en 2005 par tous les artistes de chez Audiogram au projet des Jeunes musiciens du monde. « À chaque fois que j’en parlais, mon équipe me regardait d’un drôle d’air. On me disait : “Tu vas pas nous faire ta version de Noël

blanc, quand même ?” Je répondais : “Non ! Vous ne comprenez pas, ça va être hot ! On va plonger dans les clichés et en ressortir avec de belles idées ! Vous aller voir !” »

Pour voir, on voit, même qu’on entend : on goûte, même. Jusqu’au « champagne qui nous donne envie de dégueuler » (Ça va, j’ai donné).

Un festin de sensations. Une maîtrise des effets qui va du plus simple au plus somptueux. « Je voulais créer des mariages qui se peuvent pas, jouer avec les poncifs des albums de Noël pour qu’il en sorte quelque chose qui soit à la fois familier et surprenant, qui soit beau, touchant et dérangeant. Une vraie bonne bouchée comme on en mange au Japon, qui contienne du sucré, du salé, du sur et de l’umami. » Duo d’adieu avec Mika

(Six heures d’avion nous séparent), duo mordant avec Melissa Laveaux (Noël

Lougawou), le théâtre de chansons de Pierre Lapointe n’a jamais été aussi porteur de sens.

Le défi de l’album « de genre »

Une telle maîtrise permet, sur un charleston plus qu’enjoué dans Chez

Clara, d’évoquer une frénésie très années folles tout en exprimant le vertige de cette Clara pas certaine d’être heureuse et qui pense déjà « à quand il n’y aura plus personne / Une fois la fête terminée ». Cela permet d’aller du côté de la démesure du désir à la Phil Spector (dans Ce

qu’on sait déjà) autant que dans le dénuement du piano et d’une voix presque enfantine dans la terrible berceuse Maman, papa (pour Bairam) où le chanteur relate le drame d’un

coming out qui vaut à un jeune homme d’être répudié : « Maman, papa / Dites-moi comment ça va ? / Depuis l’an dernier, à Noël / Que j’attends un signe, un appel / Mon coeur se meurt de vous revoir / Et je vous le redis ce soir / L’amour est le plus beau trésor / Et ceux qui aiment n’auront jamais tort. »

« Le thème de Noël, commente l’auteur-compositeu­r-interprète, c’est une restrictio­n qui devient un espace de liberté. Il y a eu tellement de chansons autour de Noël, des Fêtes, du jour de l’An, il y a tellement de classiques qui prennent toute la place, que la création dans ce créneau-là se mue en magnifique défi, en féerie de possibilit­és. J’ai vite compris que, si je me lançais là-dedans, ça devait être au moins du calibre de des mal-aimés. La forêt Que chaque chanson devait être vraiment mémorable. » Difficile de demander plus que

L’oiseau rare, un vrai de vrai slow comme personne n’ose plus en proposer (bravo à Owen Pallett pour les arrangemen­ts orchestrau­x) : une chanson infiniment triste et infiniment belle, qui culmine sur le moment du lâcher-prise dans un deuil amoureux : « Une nouvelle année va bientôt commencer / À minuit je laisserai notre amour s’envoler / Comme un oiseau rare au plumage abîmé / Prêt à mourir dans le froid glacial de janvier. »

Le défi du don de soi

« Je pense que c’est une bonne chose qu’il y ait eu quinze ans pour rêver à ce disque. Il y a une variété de tons que je n’avais pas autant avant, je suis passé par tellement de genres que j’arrive à un meilleur équilibre. » Le style Pierre Lapointe était déjà passableme­nt défini quand il a chanté

Le colombariu­m à Granby, mais l’accompliss­ement le plus notables de ses albums depuis Punkt est l’éclatement des arrangemen­ts et des mélodies, sans y perdre la signature aimée depuis le début.

« J’espère que j’arrive à un meilleur dosage qu’avant. J’ai apaisé pas mal de choses en moi, ce qui me permet de ne plus chercher seulement à me faire plaisir, ce qui me permet d’offrir ces chansons hivernales en souhaitant vraiment que ça vienne en aide autant aux gens tristes qu’aux gens heureux. »

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VALÉRIAN MAZATAUD LE DEVOIR Magie et demie que ce disque produit en pleine pandémie et en totale canicule, courtepoin­te façon Lapointe d’enregistre­ments, mixages et matriçage effectués dans une dizaine de studios à Montréal, Paris, Florence et Los Angeles.
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Chansons hivernales Pierre Lapointe, Audiogram. À paraître le 20 novembre.

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