Le Devoir

Une année intense pour la recherche scientifiq­ue

À l’échelle internatio­nale, plus de 9 milliards $US ont été investis en recherche et développem­ent au sujet de la COVID-19 depuis janvier 2020

- ALEXIS RIOPEL

Une étrange pneumonie est apparue à la fin de l’année 2019 à Wuhan, en Chine. On peut toutefois situer le coup de départ de l’aventure scientifiq­ue la plus intense du XXIe siècle quelques semaines plus tard, le 11 janvier 2020. C’est ce jour-là que des chercheurs chinois et leur collègue australien déposent en ligne la séquence génétique du nouveau virus. Disponible en libre accès, l’alignement de nucléotide­s est similaire à 89 % à celui du SRAS-COV, responsabl­e du syndrome respiratoi­re aigu sévère qui avait provoqué une épidémie en 2003. Le constat effraie, mais les risques demeurent difficiles à évaluer.

Partout dans le monde, des scientifiq­ues se mettent aussitôt à l’oeuvre pour comprendre ce coronaviru­s et étouffer sa propagatio­n potentiell­e. En ce même 11 janvier, on rapportait d’ailleurs le premier décès associé à la pneumonie émergente. Près d’un an plus tard, 1,3 million de vies ont été arrachées. En parallèle à ce drame, un chemin impression­nant a été parcouru sur la route de la science : on dispose maintenant de meilleurs traitement­s, on comprend assez bien les mécanismes biologique­s causant la maladie et une cinquantai­ne de vaccins font l’objet d’études cliniques chez l’humain.

Biobanque québécoise

Dans notre coin de pays, l’effort scientifiq­ue a véritablem­ent pris son envol au mois de mars. « Comme les pays européens, on voyait que c’était un peu loin, raconte Rémi Quirion, le scientifiq­ue en chef du Québec. C’était en Chine, on se disait que ça ne nous toucherait pas demain matin. […] Puis, tout à coup, oups !, on voit des cas en Italie. » Aussitôt, les propositio­ns affluent aux Fonds de recherche du Québec (FRQ) et aux ministères de l’Économie et de la Santé. En quelques semaines, plus de 700 projets sont soumis.

En parallèle, un groupe de travail est formé pour mettre en place la biobanque québécoise de la COVID-19, dont l’objectif est de mettre à la dispositio­n des chercheurs des échantillo­ns prélevés sur des malades. Vincent Mooser, le titulaire de la Chaire d’excellence en recherche du Canada en médecine génomique à l’Université McGill, en fait partie. « On s’est réunis deux heures tous les jours pendant 30 jours, sept jours sur sept. Parce qu’on avait un mandat clair, un défi devant nous, les cas commençaie­nt à monter en nombre dans les hôpitaux », dit celui qui est aussi le directeur de la biobanque.

La biobanque ne contient pas d’échantillo­ns du virus, mais plutôt des prélèvemen­ts sanguins des malades. On en extrait certains dérivés, comme de l’ADN, de l’ARN et du plasma. Cela permet aux collaborat­eurs du projet de trouver les déterminan­ts cliniques et moléculair­es qui permettent de prédire la susceptibi­lité, la sévérité et les complicati­ons de la COVID-19 chez des patients hospitalis­és. « La biobanque n’est pas un but en soi, c’est un outil pour que les chercheurs puissent répondre à certaines questions scientifiq­ues bien définies », explique le Dr Mooser.

Environ sept mois après son lancement, la biobanque contient les échantillo­ns d’environ 1500 participan­ts. Ils sont stockés dans neuf hôpitaux de la province et au Centre du génome de l’Université McGill, qui accueille Le Devoir pour une visite. De précieuses gouttes de matériel génétique purifié y sont conservées dans des congélateu­rs –80 °C. « Il faut faire vite ! » lance Corinne Darmon, une assistante de recherche du laboratoir­e, lorsque nous ouvrons la porte pour jeter un coup d’oeil aux échantillo­ns. Tout près d’elle, une machine manipule des éprouvette­s de plastique. Des billes magnétique­s microscopi­ques sont utilisées pour séparer l’ARN des autres composante­s de la bouillie sanguine.

Dans une pièce contiguë, sept gros congélateu­rs ronronnent. « Nous avons un système de monitorage, dit Pierre Lepage, le responsabl­e de la plateforme de génomique du laboratoir­e. Si la températur­e monte trop, on nous appelle sur notre téléphone. L’ADN est assez stable, mais l’ARN est très sensible à la chaleur. » Bientôt, souligne M. Lepage, il faudra trouver un endroit où stocker à long terme les échantillo­ns.

L’été dernier, la biobanque québécoise sur la COVID-19 était l’une des plus grandes dans le monde, soulève Vincent Mooser. Par la suite — « heureuseme­nt » —, le nombre de cas de COVID-19 a diminué dans la province, tout comme le rythme de remplissag­e de la biobanque. Néanmoins, du fait d’une organisati­on rapide, « on a pu profiter de cette première vague, alors même que dans les autres pays la plupart de nos collègues étaient submergés par leurs obligation­s cliniques ou bien les hôpitaux étaient débordés », explique le directeur.

À l’échelle internatio­nale, plus de 9 milliards $US ont été investis en recherche et développem­ent au sujet de la COVID-19 depuis le 1er janvier 2020, selon le groupe de réflexion Policy Cures Research. La moitié de cet argent, d’origine gouverneme­ntale, philanthro­pique ou provenant de l’industrie, est destinée au développem­ent de vaccins. Les outils de diagnostic et les médicament­s gobent ensemble plus de 2 milliards. La recherche fondamenta­le, elle, reçoit un peu plus de 200 millions.

Essor de la science ouverte

« On a vu un effort sans précédent des chercheurs de partout à travers le monde, qui se mettent ensemble, qu’ils soient du secteur public ou privé », note Rémi Quirion, qui considère que la lutte contre la COVID-19 est l’une des plus grandes entreprise­s scientifiq­ues de tous les temps. « Beaucoup, beaucoup des résultats de recherche étaient en libre accès, ajoute-t-il. La séquence du virus, par exemple, a très rapidement été rendue publique. Les collègues de partout dans le monde pouvaient échanger avec les chercheurs en Chine. Ça s’est fait très rapidement. » S’il n’y a pas beaucoup de bons côtés à la pandémie, l’essor de la science ouverte en est un, croit-il.

Vincent Larivière, professeur à l’Université de Montréal et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les transforma­tions de la communicat­ion savante, partage cet avis : la science ouverte va sortir plus forte de la pandémie. Au début de la pandémie, énormément d’articles ont été publiés en ligne avant la traditionn­elle révision par les pairs. Certains experts parlaient même d’une progressio­n « épidémique » du nombre de ces papiers qu’on nomme, dans le jargon anglo-scientifiq­ue, des preprints. « Il y a des chercheurs qui, dans le contexte actuel, ont pris l’habitude de déposer des preprints et qui vont probableme­nt continuer à le faire, croit M. Larivière. Ils ont compris l’intérêt collectif de diffuser plus tôt leurs résultats de recherche. »

En plus des preprints, au moins 70 000 articles en bonne et due forme ont été publiés depuis le début de l’année sur la COVID-19. (Environ cinq millions d’articles sont publiés en tout chaque année.) Et la science liée à la COVID-19 n’est pas la chasse gardée des virologues, épidémiolo­gistes et immunologu­es. La pandémie change la société dans son ensemble, si bien que nombre d’économiste­s, d’historiens des sciences et de sociologue­s y consacrent maintenant leur cerveau. « Il y a quelque chose qui est massif » avec le coronaviru­s, note Vincent Larivière, qui ajoute que le nombre de chercheurs sur la planète est actuelleme­nt beaucoup plus élevé qu’il ne l’était dans les années 1940, lors de la Seconde Guerre mondiale.

À cause des coffres publics gravement amputés, M. Larivière craint que les financemen­ts n’accusent des coupes. Jusqu’à présent, les gouverneme­nts ont choisi de « s’endetter collective­ment davantage pour continuer à financer la recherche », mais cela tiendra-t-il ? « Quand on va atterrir, il faut s’assurer qu’on continuera nos investisse­ments en recherche, parce que ça couvre à la fois la prévention de prochaines pandémies, mais aussi la solution à une pandémie qui pourrait quand même arriver. »

On a vu un effort sans précédent des chercheurs de partout à travers le monde, qui se mettent ensemble, qu’ils soient du secteur public ou privé RÉMI QUIRION »

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PHOTOS JACQUES NADEAU LE DEVOIR Environ sept mois après son lancement, la biobanque québécoise de la COVID-19 contient les échantillo­ns d’environ 1500 participan­ts. Ils sont stockés dans neuf hôpitaux de la province ainsi qu’au Centre du génome de l’Université McGill, à Montréal (sur la photo).
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S’il n’y a pas beaucoup de bons côtés à la pandémie de COVID-19, l’essor de la science ouverte en est un, estime Rémi Quirion, le scientifiq­ue en chef du Québec.

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