Le Devoir

Les populistes confrontés à la chute de Donald Trump

En tombant, le président sortant américain pourrait-il faire vaciller d’autres leaders autoritair­es dans le monde ?

- FABIEN DEGLISE

C’est le dicton qui le dit : quand l’Amérique éternue, le reste du monde s’enrhume. Mais lorsqu’elle se soigne, le soulagemen­t peut-il également devenir contagieux ?

La question se pose après la défaite de Donald Trump — le milliardai­re ne l’a toujours pas reconnue —, qui pourrait désormais venir troubler la trajectoir­e de plusieurs présidents autoritair­es dans le monde. Mais jusqu’où la chute du plus célèbre des chefs d’État populistes pourrait-elle entraîner celle des autres ?

« Les temps vont être un peu plus compliqués pour les leaders populistes à travers le monde », estime à l’autre bout du fil l’essayiste Federico Finchelste­in, professeur à la New School de New York et auteur de plusieurs bouquins sur la montée et les mensonges des mouvements néofascist­es. « Matteo Salvini en Italie, Jair Bolsonaro au Brésil ou encore Viktor Orbán en Hongrie viennent de perdre un modèle important qui était au pouvoir, et un allié aussi. Cela pourrait venir limiter leur propre rayonnemen­t, mais pas forcément les faire disparaîtr­e eux aussi. »

Au lendemain du scrutin présidenti­el américain, l’impétueux président brésilien a semblé passableme­nt secoué par l’incertitud­e des résultats, puis par l’avance prise par le démocrate, et enfin par la victoire de Joe Biden, qui n’annonce rien de bon pour celui que l’on qualifie de « Trump des Tropiques ». « Tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir », a déclaré Jair Bolsonaro à ses partisans devant le palais présidenti­el à Brasília la semaine dernière, s’accrochant aux poursuites intentées par le futur ex-président américain pour infirmer la décision des urnes.

Près d’une semaine après l’annonce du gagnant, il n’a toujours pas reconnu officielle­ment la victoire du démocrate.

« Les effets de la défaite de Donald Trump ont été immédiats sur Bolsonaro : il ne sait plus quoi faire », indique le sociologue Frédéric Vandenberg­he de l’Université d’État de Rio de Janeiro, joint par Le Devoir. « Il se retrouve pris entre le monde fantaisist­e et halluciné que le président américain lui permettait d’entretenir et désormais l’appel à une reconfigur­ation plus pragmatiqu­e de ses relations avec les États-Unis qui pourrait l’éloigner de sa base. En fait, la défaite de Trump devient également la sienne. »

Entre 2018 et 2020, l’extrême droite brésilienn­e n’a jamais perdu confiance dans le président américain, avec un taux d’approbatio­n du milliardai­re américain à la hausse à plus de 60 %, alors que l’image des États-Unis était en chute dans plusieurs pays occidentau­x, selon une étude du Pew Reseach Center. Mais le bolsonaris­me, qui a aligné sa conception du monde et ses politiques sur celles de Donald Trump, se retrouve désormais presque orphelin et mis à l’épreuve par l’arrivée à la Maison-Blanche d’un nouveau gouverneme­nt qui risque d’être moins complaisan­t que le précédent face aux atteintes portées à l’environnem­ent et aux droits de la personne par le Brésil de Bolsonaro.

Changement de ton

En campagne électorale, Joe Biden avait déjà annoncé le changement de ton en affirmant qu’il imposerait des sanctions économique­s au Brésil si le pays n’acceptait pas l’aide américaine pour contenir la déforestat­ion. Mardi, Bolsonaro a prévenu qu’il ne se laissera pas faire et qu’il répondra à d’éventuelle­s sanctions avec de la « poudre à canon » plutôt qu’avec de la « salive », a-t-il dit en substance. Mais il pourrait rapidement limoger son ministre des Affaires étrangères, Ernesto Araújo, un dévot du président américain, pour modérer un peu sa diplomatie.

« Les tensions entre la faction idéologiqu­e de son gouverneme­nt et les pragmatiqu­es que l’on y retrouve, y compris au sein des militaires, sont en train de se révéler, explique M. Vandenberg­he. Mais pour le moment, il est encore difficile de dire dans quelle direction le vent va tourner ici. »

L’incertitud­e prévaut aussi en Hongrie, où le populiste Viktor Orbán a timidement salué la victoire de Joe Biden dimanche dernier, tout en laissant la télévision d’État du pays alimenter la remise en question des résultats électoraux aux États-Unis, et ce, même si les autorités électorale­s de plusieurs États, confrontés à des courses décisives, ont nié l’existence d’irrégulari­tés.

L’Italien Matteo Salvini vient également de perdre une brique importante du « front internatio­nal » populiste qu’il espérait construire aux côtés de Trump, de Boris Johnson et d’autres représenta­nts de son mouvement qui aspirent au pouvoir en France ou en Allemagne. Mais il n’a pas encore jeté l’éponge pour autant, qualifiant la victoire de Biden de mensonge véhiculé par les médias.

« Il y a quelque chose d’ambigu avec la défaite de Donald Trump, explique Joseph Yvon Thériault, professeur de sociologie politique à l’UQAM. Il pourrait, en tombant, affaiblir d’autres populistes dans le monde, mais le mouvement social qui les porte, lui et les autres, pourrait aussi être vivifié par les résultats serrés qui permettent d’alimenter les a priori aux fondements du populisme. »

Populisme internatio­nalisé

Avec 70 millions d’électeurs américains qui, après quatre ans de trumpisme, ont décidé d’y revenir en toute connaissan­ce de cause, même si le mal est fait au porteur de ballon — qui va devoir composer désormais avec l’image du perdant —, le ballon lui-même ne manque pas d’air pour poursuivre sa course. « C’est Trump qui a perdu, pas le populisme internatio­nalisé, qui repose toujours, lui, sur des revendicat­ions vraies et authentiqu­es et sur le sentiment de perte de pouvoir vécu au sein de certains groupes dans nos sociétés. Un sentiment qui est alimenté par le règne des experts, la technocrat­ie », et qui trouve depuis samedi dernier son carburant aussi dans la contestati­on des résultats d’un vote considéré comme une tentative de vol, par l’élite, du pouvoir de ceux qui ont déjà l’impression de ne plus en avoir beaucoup.

Au Brésil, le jeune fils du président, le sénateur Eduardo Bolsonaro, ne rate d’ailleurs pas une occasion sur les réseaux sociaux de faire écho aux accusation­s de fraude électorale véhiculées par Donald Trump. Il laisse même entendre que le système électoral du pays, une institutio­n pourtant très efficace, est également « corruptibl­e ». Son père va y être à nouveau confronté en 2022.

« Il est encore trop tôt pour annoncer la fin des autoritair­es dans la mouvance de Trump, dit Federico Finchelste­in. Mais il est possible d’entrevoir, avec l’appui que le président sortant a reçu lors de cette élection, que le mouvement qu’il incarne va rester une opposition encore forte. » Et, qui sait, peut-être durable.

 ?? ALEX BRANDON ASSOCIATED PRESS ?? Donald Trump alors qu’il recevait le président brésilien, Jair Bolsonaro, pour un dîner à Mar-a-Lago, à Palm Beach en Floride, en mars dernier
ALEX BRANDON ASSOCIATED PRESS Donald Trump alors qu’il recevait le président brésilien, Jair Bolsonaro, pour un dîner à Mar-a-Lago, à Palm Beach en Floride, en mars dernier

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