Un Québec qui rapetisse
Le ministre fédéral de l’Immigration, Marco Mendicino, a annoncé il y a deux semaines que le Canada allait hausser ses cibles en matière d’immigration afin d’accueillir 1,2 million de nouveaux résidents permanents au cours des trois prochaines années, une augmentation de 15 % par rapport aux seuils précédents. Les sceptiques n’ont pas tardé à jeter des doutes sur le plan d’Ottawa. La pandémie a créé des retards importants dans le système d’immigration, avec pour résultat une diminution de 40 % du nombre d’immigrants arrivés dans les huit premiers mois de 2020 par rapport à la même période en 2019. Avec un taux de chômage à la hausse et une augmentation importante du nombre de chômeurs de longue durée, le marché du travail ne serait pas capable d’absorber un nombre plus important d’immigrants avant des années.
Or, la stratégie en matière d’immigration que vient d’adopter le gouvernement de Justin Trudeau ne sort pas de nulle part. L’équipe libérale avait signalé au cours de la campagne électorale de 2015 son intention de faire de l’immigration l’un des principaux piliers de sa stratégie économique, en plus d’envoyer le signal au monde que le Canada allait redevenir une terre d’accueil. Avec l’arrivée de plus 50 000 réfugiés syriens dans les premiers mois de son mandat, M. Trudeau a honoré cette promesse. Mais ce n’était que le début d’une lancée encore plus ambitieuse en matière d’immigration.
L’année suivante, le conseil consultatif en matière de croissance économique mis sur pied par l’ancien ministre des Finances Bill Morneau, et dont faisait partie l’ancien chef de la Caisse de dépôt et placement du Québec Michael Sabia, a recommandé qu’Ottawa augmente le nombre d’immigrants accueillis annuellement au pays à 450 000 en 2021, une hausse de 50 % par rapport au niveau de 2016 (300 000). « Outre les répercussions démographiques issues du fait de rendre les prestations versées aux aînés plus viables (grâce à la répartition des coûts liés à ces prestations et aux soins de santé parmi un ensemble plus important de résidents d’âge actif), l’augmentation de la population d’immigrants a une incidence positive sur les entreprises et la création d’emplois pour les Canadiens par le truchement de l’entrepreneuriat, de l’innovation et du commerce international », pouvait-on lire dans le rapport du conseil.
Le président du conseil consultatif, Dominic Barton, alors dirigeant de l’importante firme de consultants McKinsey & Company, a réuni des gens d’affaires pour lancer une proposition plus ambitieuse encore. Selon l’Initiative du siècle, nom du groupe dont fait partie le p.-d.g. du puissant Conseil canadien des affaires, Goldie Hyder, le Canada devrait mettre en place une série de politiques afin d’atteindre une population de 100 millions de personnes en 2100. Afin d’y parvenir, le Canada devait augmenter le nombre d’immigrants qu’il accueille chaque année pour atteindre le niveau de 500 000 nouveaux arrivants en 2026. « Une telle augmentation n’est ni radicale ni irréaliste, disait un rapport du groupe publié en 2019. Il faudra en outre réévaluer continuellement le nombre d’immigrants à la lumière des nouvelles données sur la fécondité, la mortalité et l’émigration, afin de maintenir le cap sur notre objectif de 100 millions de Canadiens en 2100. »
Le gouvernement de M. Trudeau n’a jamais endossé publiquement les recommandations ni du Conseil consultatif en matière de croissance économique ni de l’Initiative du siècle. Mais il a nommé M. Barton comme ambassadeur canadien en Chine en 2019, et ce dernier demeure un membre important du cercle restreint de conseillers préférés du bureau du premier ministre. Bien que le plan qu’a annoncé M. Mendicino le 30 octobre dernier n’aille pas aussi loin que les mesures préconisées dans les deux rapports qu’a signés M. Barton, il est difficile ne pas y voir l’empreinte de ce dernier. Plutôt que des
351 000 immigrants prévus en 2021 selon le plan adopté en 2018 par son prédécesseur Ahmed Hussen, M. Mendicino prévoit d’accueillir 401 000 nouveaux arrivants l’an prochain, 411 000 en 2022 et 421 000 en 2023.
Pour que le Québec maintienne son poids démographique au sein de la fédération canadienne, la province aurait besoin d’accueillir plus de 90 000 immigrants en 2021. Ce chiffre devrait passer à 95 000 immigrants en 2023. Or, on sait que le gouvernement de François Legault n’a aucunement l’intention d’emboîter le pas à Ottawa en matière d’immigration. La Coalition avenir Québec a fait de sa promesse de baisser les seuils annuels d’immigration de 20% l’une des pierres angulaires de sa plateforme électorale en 2018.
Selon le dernier Rapport annuel au Parlement sur l’immigration, le Québec a accueilli 40 565 immigrants en 2019, ou 11,9 % des 341 000 résidents permanents admis au pays. À lui seul, l’Ontario a accueilli 153 395 immigrants en 2019, ou presque 45 % du total canadien, alors que cette province comptait pour 38,8 % de la population canadienne. La Colombie-Britannique (14,72 %) et l’Alberta (12,81 %) ont toutes les deux accueilli plus d’immigrants par rapport à leur poids démographique dans la fédération canadienne, qui était respectivement de 13,5 % et 11,6 %.
Avec une population de près 8,6 millions de personnes, le Québec compte actuellement pour 22,6 % de la population canadienne, comparativement à 23,2 % en 2016, selon les plus récentes données de Statistique Canada. De plus de 28 % de la population canadienne dans les années 1960, la part du Québec tombera en dessous de la barre des 20 % dans les prochaines décennies si la province n’augmente pas de façon importante ses seuils d’immigration. Le ministère québécois de l’Immigration prévoit d’accueillir 7000 immigrants de plus en 2021, afin de compenser la baisse prévue cette année en raison de pandémie. Il s’agirait d’un maximum de 54 500 nouveaux arrivants, dans le meilleur des scénarios. Mais la tendance apparaît irréversible. Le Québec continuera à rapetisser, alors que le Canada voit grand.