La solvabilité de l’État canadien
En quelques mois seulement, soit de mars à novembre 2020, la Banque du Canada a créé 400 milliards de dollars pour soutenir les marchés financiers et financer le déficit des gouvernements fédéral et provinciaux. À elle seule, cette création monétaire équivaut à la valeur boursière de l’ensemble des banques privées canadiennes et surpasse largement l’actif de la Caisse de dépôt et placement du Québec ! Cette action de la banque centrale canadienne, à tout point de vue, est gigantesque et inédite.
Or, qui a analysé les tenants et aboutissants de ce tour de force ? Qui a cherché à mieux saisir ce que signifie une telle démonstration de puissance financière ? Un véritable silence dans la plaine… À l’évidence, les grands médias d’information, dont la presse écrite, ont consacré à ce phénomène extraordinaire une couverture beaucoup trop timide, qu’on ne peut que déplorer. Pourtant, nous devons absolument tirer les enseignements d’une action financière d’une telle ampleur, notamment au regard de la capacité du gouvernement canadien à dépenser pour faire face à diverses urgences, qu’elles soient sociales, sanitaires ou écologiques.
Les quelques « experts » qui s’expriment là-dessus maintiennent malheureusement trop souvent leurs analyses dans les sentiers déjà bien battus du déficit budgétaire gouvernemental, des dangers qui y sont associés et de l’inévitable austérité budgétaire. Ces économistes, fiscalistes ou chroniqueurs distillent ainsi la peur de l’insolvabilité du gouvernement canadien, alors que ce dernier, paradoxalement, vient de créer de « nulle part » et en un claquement de doigts, par l’entremise d’une société d’État qui lui appartient, la Banque du Canada, une somme supérieure à la valeur du PIB du Québec…
Cela étant, ne convient-il pas de comprendre qu’un État qui a le pouvoir d’émettre des sommes aussi colossales dans sa propre monnaie et en si peu de temps ne peut pas connaître de problèmes de solvabilité, surtout dans le long terme ? Ne devrait-on pas aussi en déduire que l’État canadien n’a aucune contrainte de revenu et ne dépend pas de l’épargne privée pour financer ses dépenses ? Comme le démontre la gestion de la COVID-19, il peut créer de lui-même les fonds nécessaires à son fonctionnement en temps de crise et, si besoin est, sauver du naufrage le système économique. Remarquons d’ailleurs à quel point il est ironique que l’État, dans la crise actuelle comme dans celle de 2008, a permis, par ses dépenses, la survie du système financier et a ainsi sauvé financièrement ses propres créanciers. Comment expliquer un tel paradoxe ?
Un angle mort médiatique
En fait, afin de mettre en contexte les actions exceptionnelles de la Banque du Canada, nos experts et les médias d’information ne prêtent malheureusement pas suffisamment attention aux avancées dans le domaine des sciences économiques. De nouvelles approches en macroéconomie, telles que la Théorie monétaire moderne, qui invalident plusieurs propositions des sciences économiques traditionnelles portant sur les contraintes financières des États et l’importance pour ceux-ci de maintenir l’équilibre budgétaire, ne sont pas suffisamment présentées au public et débattues. La connaissance de ces approches qui soulignent le rôle prépondérant des banques centrales dans le financement des États enrichirait assurément le débat sur la solvabilité du gouvernement canadien et sa véritable capacité d’intervention financière non seulement pour faire face à la crise sanitaire actuelle, mais également pour offrir une réponse efficace à l’urgence climatique et à la nécessaire transition écologique.