Exit l’idiot utile
Un Donald Trump boudeur qui refuse toujours de reconnaître la défaite. Et son secrétaire d’État, Mike Pompeo, qui, vaguement gêné, en a remis une couche avec sa déclaration sur une « transition en douceur » vers un second mandat trumpien. Les pères de la nation doivent se retourner dans leur tombe, alors que la victoire à la présidence de Joe Biden ne fait pas l’ombre d’un doute et que le monde entier en prend acte. M. Trump, dont la psychologie personnelle se sera confondue avec sa vulgate protectionniste, reste jusqu’au bout, sur la scène internationale, ce qu’il a été depuis quatre ans : un « embarras », dixit M. Biden, pour lui-même et pour les autres.
Un embarras pour avoir été d’une malfaisance entêtée avec les alliés des États-Unis. Et pour avoir été concurremment l’idiot utile, à sa façon bien spéciale, de Moscou, de Riyad, d’Ankara, de Pyongyang… Encore qu’en président américain qui crache dans la soupe de ses alliances traditionnelles, il aura à son corps défendant contribué à surligner l’hypocrisie qui consiste pour nos démocraties à faire des affaires avec des tyrans.
Il aura été un embarras et en même temps, il faut bien le dire aussi, un empêcheur de tourner en rond, par l’absurde. Un exemple parmi d’autres : le troisième Forum de Paris sur la paix, tenu cette semaine à l’initiative du président Emmanuel Macron, réunissant chefs de gouvernement, experts et ONG, et dont M. Trump avait boycotté les deux premières éditions. L’espoir était manifeste, à l’occasion de ce rendez-vous centré sur la gouvernance mondiale, que la victoire de M. Biden réhabilitera une approche multilatéralisme.
Non pas l’espoir du statu quo ante. Celui plutôt que nos élites occidentales, bousculées dans leur indifférence néolibérale par la pandémie de coronavirus, sortent enfin la tête du sable devant l’évidence que la mondialisation, telle que l’humanité la vit en accéléré depuis 30 ans, se heurte à un mur.
Outre un apaisant changement de ton, que peut-on espérer de M. Biden en politique étrangère ? Moins d’imprévisibilité caractérielle, bien entendu, ce qui rassure d’emblée un peu tout le monde, à commencer par le Canada, qui ne se fait pas pour autant d’illusions quant aux inévitables sursauts protectionnistes du géant collé à sa frontière.
En campagne, M. Biden a promis d’enterrer l’« Amérique d’abord » comme principe directeur — et obtus — de la politique étrangère américaine. Et de réintégrer l’Accord de Paris sur le climat. Et de tenter de ressusciter l’accord international sur le nucléaire avec l’Iran, avec tout ce que cela suppose d’opposition de la part d’Israël et de l’Arabie saoudite. On se doute bien qu’il va durcir le ton contre le régime de Vladimir Poutine, sauf à vouloir reconduire avec lui le New Start, le seul traité de réduction des armes stratégiques nucléaires qui existe encore. On peut compter sur le fait que l’aile progressiste du Parti démocrate réclamera haut et fort que soit réduit le colossal budget militaire.
Qu’attendre en particulier de l’évolution des relations — absolument centrales — entre la Chine en essor et les États-Unis haletants ? De la continuité, en fait, dans la mesure où la politique américaine à l’égard de la Chine fait déjà l’objet d’un relatif consensus bipartisan à Washington. C’est après tout avec Barack Obama et son « pivot asiatique » que le conflit avec Pékin s’est aiguisé, s’agissant de contenir le projet expansionniste de la Chine et de dénoncer ses « pratiques déloyales ». Plus diplomatique, M. Biden n’en poursuivra pas moins une stratégie d’endiguement, une « guerre commerciale » de basse intensité, en entretenant la caricature d’un régime chinois qui ne veut rien moins que « contrôler le monde ». Les relations resteront ainsi, d’autant plus que la présidence Biden sera largement faite des mandarins qui ont gravité autour de celle d’Obama. Et que, comme en 2016, ce sont les États du Midwest qui ont décidé in extremis du résultat de la présidentielle de 2020, nonobstant le fait que la Chine peut difficilement être tenue pour seule responsable des délocalisations.
Voilà où, pour les classes moyennes et populaires du Nord et du Sud, le bât blesse. L’affrontement restera le maître-mot des relations avec la dictature chinoise, avec à la clé flambées épisodiques de tensions autour de Hong Kong et de Taïwan. Or, la puissance chinoise se comporte à l’échelle internationale exactement comme l’empire américain, confinant les pays pauvres et vassaux à un état de dépendance aux exportations de produits agricoles et de matières premières. Pour nourrir la bête. À quand, dans ce contexte, un « multilatéralisme équitable » qui, au-delà des seuls rapports de force, n’oublie pas les peuples. À défaut, les inégalités qui nourrissent les populismes vont se perpétuer à force d’inertie. Justifiant ceux qui croient en M. Trump et en ses imitateurs de continuer de croire en eux.