Le Devoir

Aujourd’hui, j’ai pleuré

-

Je suis chargée de cours à l’Université de Sherbrooke et j’habite en Estrie, où l’on vient de tomber en zone rouge. Après des semaines où ma famille et les gens autour de moi suivaient rigoureuse­ment les précaution­s sanitaires d’usage pour préserver la « liberté » qui nous restait, et pour m’assurer, de mon côté, de pouvoir continuer à enseigner en classe, eh bien, nous sommes tombés dans la zone critique. Du même coup, l’université, où j’avais jusqu’à maintenant le privilège d’enseigner hebdomadai­rement au moins une heure trente en classe à chaque groupe, m’oblige, bien à contrecoeu­r, à enseigner 100 % du temps en ligne. Branle-bas le combat. Encore une fois : le scénario du printemps dernier se répète ! Tout le monde doit s’adapter au mode virtuel en catastroph­e. Mes étudiants et étudiantes, que le concept des couleurs a comme assommés depuis quelques semaines, vont se retrouver fin seuls à la maison, devant leur écran. Au moins, ils n’auront plus à partager leur temps entre des cours en ligne et en présence. Cette semaine, à la fin de mon dernier cours en leur présence, je me sentais triste : je ne les reverrai plus qu’à distance, dans un écran (s’ils ouvrent leur caméra !). J’avais déjà le coeur gros chaque fois que j’entrais dans ma faculté aux corridors autrefois si remplis de vie, mais devenus désespérém­ent déserts ; or, depuis que je sais qu’on tombe en zone rouge, je lutte carrément pour ne pas pleurer. Pourtant, aujourd’hui, eh bien, mon coeur a débordé : je me suis donné le droit de pleurer. J’imagine que c’est pour les mille petites entraves qui ombragent mon quotidien depuis des mois ; ou bien c’est à cause de la succession de petits deuils de ma vie d’enseignant­e qui finissent par être lourds à porter ? Tout ce que je sais, c’est que je ressens de la tristesse et aussi un sentiment d’injustice sociale. J’ai donc envie de dire à toutes les personnes qui ont fait fi des règles sanitaires en dehors des lieux réglementé­s, comme si ce virus ne les concernait pas et parce qu’elles ne pouvaient envisager de « s’empêcher de vivre », je leur dis : alors voilà, maintenant on y est. Je suis tellement déçue. Valérie Descôteaux Bonsecours, le 12 novembre 2020

Newspapers in French

Newspapers from Canada