Le Devoir

Ambassadri­ce du monde par les épices

- ROXANE LÉOUZON | COLLABORAT­ION SPÉCIALE, CARIBOUMAG.COM epicesdecr­u.com

Afin de contrer la grisaille de novembre et l’absence de voyages pour les mois à venir, pensons au ras-el-hanout, au curcuma, au cumin et au safran iranien pour colorer nos plats et leur donner des saveurs d’ailleurs. Et à ce chapitre, la reine des épices au Québec, Ethné de Vienne, en a long à raconter.

Ethné de Vienne s’agite entre les étagères de son atelier où sont rangées plus de 400 épices différente­s dans des bacs blancs et dans les petits pots de métal qui sont sa marque de commerce.

« Where is it ? I get excited, oh my

Lord ! » lance théâtralem­ent la Trinidadie­nne dans sa langue maternelle.

Une de ses employées lui désigne l’endroit où se trouve le curcuma non moulu. « I’m gonna show you de quoi ça a l’air ! » s’exclame-t-elle en brandissan­t victorieus­ement l’épice qu’elle cherchait.

Cette ancienne mannequin à la tenue multicolor­e présente fièrement son butin de petits bâtons orangés. Dans une autre boîte, le curcuma est à moitié concassé, et dans une troisième, il est entièremen­t moulu, grâce à une machine qui se trouve quelques mètres plus loin.

« Une épice moulue juste avant son utilisatio­n est à son summum », explique-t-elle dans son français parfait.

Poivre andaliman, berbéré éthiopien, peau de mangue verte séchée… La chasseuse d’épices ouvre tour à tour ses coffres aux trésors pour me les faire sentir.

L’odeur qui se dégage des quartiers généraux d’Épices de cru est perceptibl­e à plus d’un coin de rue sur l’avenue Letourneux, dans le quartier Hochelaga-Maisonneuv­e, à Montréal. La copropriét­aire de l’entreprise, qui a immigré dans la Belle Province avec ses parents en 1969, me raconte son histoire dans une grande salle de réunion décorée avec des tapisserie­s, des mortiers, des pilons, des objets d’art traditionn­el et 2500 livres de recettes. « Philippe les a tous lus ! Il s’est donné la tâche de connaître toutes les cuisines du monde », déclare-telle au sujet de son conjoint et partenaire d’affaires.

Mélange des cultures

Faire découvrir ces cultures culinaires au maximum de gens possible, voilà l’une des missions d’Ethné et de Philippe de Vienne. Ils l’ont d’abord accomplie grâce à leur service de traiteur, puis, depuis 15 ans, grâce à l’importatio­n d’épices provenant d’une quarantain­e de pays.

Leur succès, la Québécoise d’adoption est convaincue qu’ils n’auraient pas pu l’obtenir ailleurs dans le monde. « Les Québécois ne sont pas très nationalis­tes sur le plan culinaire. “Je n’aime pas ça parce que ça vient d’ailleurs”, c’est quelque chose qu’on entend dans plusieurs pays, affirme-t-elle. Ici, on adore bien manger et on se demande peu d’où ça vient. Si c’est bon, on l’adopte ! »

Confortabl­ement installée sur sa chaise, Ethné raconte à quel point les goûts et les connaissan­ces de Monsieur et Madame Tout-le-Monde ont évolué depuis 15 ans au Québec. Le curcuma, d’origine indienne, est maintenant l’épice la plus populaire de l’entreprise, avec le poivre.

« Avant, on expliquait la différence entre la vraie cannelle et la casse, qui est plus courante ici et moins chère. Aujourd’hui, les gens entrent dans notre magasin et demandent : “Avez-vous de la vraie cannelle ?” », rapporte-t-elle en riant.

Selon Ethné, les épices prennent de plus en plus de place dans la cuisine de chez nous, même dans les plats traditionn­els. Ainsi, Épices de cru propose des mélanges à cretons et à tourtières.

Tour du monde au Québec

Tout en expliquant l’importance de valoriser l’origine des produits et les petits producteur­s d’ailleurs, Ethné regarde un message texte qu’elle vient de recevoir. C’est son contact en Éthiopie, Andrew, qui lui envoie une photo de knockout chilis. « C’est la première fois que ça va être exporté ! » s’exclame-t-elle. Le couple a visité une ferme, dans ce pays d’Afrique de l’Est, où les propriétai­res ne faisaient pousser ce piment fort que pour eux-mêmes. « On y a goûté et on a dit : “Si vous en plantez d’autres, pouvez-vous les faire sécher et nous les envoyer ?” Ils ont accepté. »

Ainsi, au cours de leurs voyages, Ethné et Philippe font des trouvaille­s qu’ils proposent ensuite aux consommate­urs occidentau­x en ligne, à leur boutique du marché Jean-Talon et dans divers points de vente partout dans la province. Ils vendent aussi des produits du Québec, comme le piment gorria, le thé du Labrador et le poivre des dunes, mais de fréquents problèmes d’approvisio­nnement limitent la quantité et la disponibil­ité des épices locales.

La grande aventurièr­e importe peu d’épices de son pays d’origine, Trinidad, mais elle emporte toujours dans ses bagages l’ouverture aux autres et l’aisance intercultu­relle qui, à ses yeux, donnent toute sa saveur à cette île des Caraïbes qui l’a vue naître.

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2. COURTOISIE ÉPICES DE CRUE 1. ETHNÉ DE VIENNE, @ MARC-OLIVIER BÉCOTTE 1
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