Classique
Que faut retenir de la manne discographique generee par le 250 anniversaire de naissance du composteur en matiere d'integrales?
L’année Beethoven touche à sa fin. Ce 250e anniversaire ne s’est pas du tout déroulé comme prévu. Les grandes intégrales en concert ont toutes été annulées, mais les éditeurs de disques avaient pris leurs précautions. Que faut-il retenir de cette manne ?
Il y a un an, nous commentions les trois grandes intégrales de l’oeuvre de Beethoven, publiées par Warner (la plus recommandable), Universal et Naxos. Depuis, les nouveautés et rééditions se sont multipliées en matière de concertos, sonates et symphonies. Le panorama symphonique est très différent de celui des concertos, brossé il y a deux semaines, le premier pan de l’activité éditoriale ayant été de faire revivre des interprétations oubliées.
Les outsiders ressortent de l’ombre
Trois intégrales des années 1950-1960 ont fait l’objet d’un travail éditorial décisif en cette année Beethoven. Celle d’André Cluytens a toujours flotté « entre deux ». Entre 1957 et 1960, EMI avait confié au chef belge le Philharmonique de Berlin pour la première intégrale Beethoven de cet orchestre qui à l’époque enregistrait aussi Beethoven sous la direction de Lorin Maazel et Ferenc Fricsay pour DG. Le nouveau rematriçage donne plus d’impact au son, mais la réverbération et la légère crispation ne traduisent pas le son attendu de Berlin. Révérence et élégance du chef ne suffisent pas à accrocher l’oreille.
DG publie deux intégrales historiques : Hermann Scherchen et William Steinberg. Ni l’une ni l’autre n’étaient des « intégrales DG ». Scherchen enregistrait pour Westminster, catalogue qui se retrouve propriété d’Universal aujourd’hui. Scherchen est un esprit abrasif et radical dans son intégrale mono (1951-1953) partagée entre Londres et Vienne. Le travail éditorial de DG, qui ajoute les versions stéréo de la 3e et de la 6e et les ouvertures, est superbe mais on retient surtout que notre sensibilité à l’intonation a beaucoup évolué. La finition n’est tout simplement pas à la hauteur des standards actuels. Légende un peu fanée, donc.
William Steinberg, grand chef sousévalué du milieu du XXe siècle, avait enregistré cette intégrale entre 1962 et 1966 pour Command Classics. Command a disparu, s’est retrouvé chez MCA, absorbé par Universal et voilà comment on glane cette rareté rééditée il y a quelques années par le québécois Yves St-Laurent. Le recours aux bandes originales par DG entraîne des améliorations plus (3e) ou moins
(5e, 7e) spectaculaires. Le Beethoven de Steinberg est franc, énergique, carré, très limpide. Szell est une coche au dessus dans les intégrales de la même époque aux États-Unis, mais la réédition est bienvenue et utile.
À ces intégrales de studio on ajoutera la presque intégrale (manque la
9e) de Hans Rosbaud (1956-1961) publiée par SWR. Intérêt historique pour « happy few », mais intérêt certain : le limpide Rosbaud est un cartésien qui comme Scherchen (mais dans des exécutions plus sages et propres) allège Beethoven par rapport à une certaine tradition allemande.
Rhabillages et nouveautés
Le principal héritier de Rosbaud, Michael Gielen, est le grand vainqueur des rééditions non historiques de l’année Beethoven. SWR publie une nouvelle édition de son intégrale (1997-2000) enrichie de plusieurs versions alternatives (nos 1, 3, 5 et 7, captées entre 1967 et 1970), d’une
Messe en ut inédite de 2007, d’un DVD de la 3e Symphonie en 1987, ainsi que du mythique enregistrement Vox de l’Héroïque à Cincinnati. Gielen est un beethovénien radical, qui vise une lecture « objective » et dynamique. Il a eu peu de concurrents dans ce
créneau à son époque — tempos proches de Karajan, mais son beaucoup plus dégraissé.
Parmi les nombreuses rééditions, nous rappellerons ici la première mise en coffret par Sony de l’intégrale Tilson Thomas, la première réalisée avec un orchestre de chambre (English Chamber Orchestra). Elle méritait que Sony soigne davantage la restitution sonore.
Les nouvelles intégrales sont de deux ordres : traditionnelles ou à associer au mouvement dit « historiquement informé ».
On accolera à ce dernier courant l’intégrale Sony de Giovanni Antonini même si son orchestre n’est pas sur instruments anciens. C’est un Beethoven très véloce au vibrato contingenté avec un orchestre au son émacié, « anti-symphonique » si l’on veut. Dans le genre, c’est très bien, mais on peut préférer Gardiner avec de vrais instruments anciens et Paavo Järvi sur instruments modernes.
Avec son opération « Resound Beethoven », Martin Haselböck et la Wiener Akademie ont voulu jouer les symphonies dans les lieux de l’époque de Beethoven. Haselböck est un formidable musicien et son orchestre est, en termes de couleurs, plus captivant qu’Antonini, mais tous les lieux ne se prêtent pas à l’enregistrement : l’intégrale est donc inégale avec les points forts (Symphonies nos 1, 2, 5, 6) enregistrés au Palais Niederösterreich et de terribles creux (3e, 4e) au Palais Lobkowitz.
Celui qui devrait marginaliser Antonini, Haselböck et les autres a déjà pointé le bout de son nez. Dans des lectures extrêmement travaillées, d’une grande beauté sonore, Jordi Savall nous livre un captivant début de cursus qui s’est interrompu à la
5e Symphonie, COVID oblige.
Le sens de la forme
En ce qui concerne les nouveautés, nous avons déjà témoigné des valeureux efforts de Robert Trevino à Malmö (Ondine), qui s’incline dans son genre face à David Zinman (Arte Nova) ou à Osmo Vänskä (Bis). Probe mais sans aucune incidence discographique, l’intégrale de Stefan Blunier et l’Orchestre Beethoven de Bonn (MDG) qui manque de souffle et de couleurs peut être ignorée.
Avec Andris Nelsons et Marek Janowski nous voici, au terme de cette année Beethoven, ayant recours à la première intégrale pour mettre en valeur les qualités de la dernière parue. L’écoute de l’intégrale de Marek Janowski nous rappelle parfaitement pourquoi Nelsons, malgré le Philharmonique de Vienne (DG), soulevait tant de questions. Aguicheur, Nelsons créait de petits événements pour montrer sa créativité interprétative, la forme musicale, l’architecture, passant au second plan. L’année qui, avec Nelsons, commençait par du vide enrobé de vernis s’achève, avec Janowski, sur une leçon de style et de rigueur. Marek Janowski, une conscience musicale comme pouvait l’être Charles Mackerras, livre chez Pentatone une superbe intégrale enregistrée en concert entre septembre 2018 et novembre 2019.
Folie de l’industrie du disque : le même orchestre de la Radio WDR de Cologne publiait pourtant il y a un an chez Profil une autre intégrale gravée avec son chef titulaire Jukka Pekka Saraste entre novembre 2017 et mars 2018 ! La comparaison avec le placide Saraste montre l’apport de Janowski, chef intraitable dans la dynamique intérieure des phrases et la propulsion du discours. C’est ainsi que ce cycle culmine dans un exceptionnel 1er mouvement de 8e Symphonie. Hélas, le son orchestral ample chez Profil est ici décevant, plus ramassé et sec.
Janowski n’en reste pas moins la nouveauté symphonique de l’année Beethoven, alors que le coffret Gielen SWR en apparaît comme la réédition la plus utile et Savall comme l’édifice en cours de construction que l’on voudra suivre. Pour les amateurs de raretés et documents historiques, le coffret de William Steinberg est une belle curiosité. Rappelons nos références absolues : Gunter Wand comme « la grande intégrale de l’honnête homme », George Szell, Daniel Barenboïm (Warner 2000) dans la grande tradition germanique, Osmo Vänskä, Herbert Blomstedt à Leipzig (Accentus) et Paavo Järvi ou David Zinman pour les plus athlétiques.
À propos de Blomstedt, en matière de documents anciens ayant bénéficié de rematriçages, la palme revient à l’étiquette Berlin Classics à la fois pour la première intégrale Blomstedt enregistrée avec la Staatskapelle de Dresde et, en disque isolé, pour la vraie transfiguration d’un grand document historique : la 9e Symphonie gravée en 1951 par Hermann Abendroth, le professeur de Wilhelm Furtwängler.