Le Devoir

Classique

Que faut retenir de la manne discograph­ique generee par le 250 anniversai­re de naissance du composteur en matiere d'integrales?

- CHRISTOPHE HUSS

L’année Beethoven touche à sa fin. Ce 250e anniversai­re ne s’est pas du tout déroulé comme prévu. Les grandes intégrales en concert ont toutes été annulées, mais les éditeurs de disques avaient pris leurs précaution­s. Que faut-il retenir de cette manne ?

Il y a un an, nous commention­s les trois grandes intégrales de l’oeuvre de Beethoven, publiées par Warner (la plus recommanda­ble), Universal et Naxos. Depuis, les nouveautés et rééditions se sont multipliée­s en matière de concertos, sonates et symphonies. Le panorama symphoniqu­e est très différent de celui des concertos, brossé il y a deux semaines, le premier pan de l’activité éditoriale ayant été de faire revivre des interpréta­tions oubliées.

Les outsiders ressortent de l’ombre

Trois intégrales des années 1950-1960 ont fait l’objet d’un travail éditorial décisif en cette année Beethoven. Celle d’André Cluytens a toujours flotté « entre deux ». Entre 1957 et 1960, EMI avait confié au chef belge le Philharmon­ique de Berlin pour la première intégrale Beethoven de cet orchestre qui à l’époque enregistra­it aussi Beethoven sous la direction de Lorin Maazel et Ferenc Fricsay pour DG. Le nouveau rematriçag­e donne plus d’impact au son, mais la réverbérat­ion et la légère crispation ne traduisent pas le son attendu de Berlin. Révérence et élégance du chef ne suffisent pas à accrocher l’oreille.

DG publie deux intégrales historique­s : Hermann Scherchen et William Steinberg. Ni l’une ni l’autre n’étaient des « intégrales DG ». Scherchen enregistra­it pour Westminste­r, catalogue qui se retrouve propriété d’Universal aujourd’hui. Scherchen est un esprit abrasif et radical dans son intégrale mono (1951-1953) partagée entre Londres et Vienne. Le travail éditorial de DG, qui ajoute les versions stéréo de la 3e et de la 6e et les ouvertures, est superbe mais on retient surtout que notre sensibilit­é à l’intonation a beaucoup évolué. La finition n’est tout simplement pas à la hauteur des standards actuels. Légende un peu fanée, donc.

William Steinberg, grand chef sousévalué du milieu du XXe siècle, avait enregistré cette intégrale entre 1962 et 1966 pour Command Classics. Command a disparu, s’est retrouvé chez MCA, absorbé par Universal et voilà comment on glane cette rareté rééditée il y a quelques années par le québécois Yves St-Laurent. Le recours aux bandes originales par DG entraîne des améliorati­ons plus (3e) ou moins

(5e, 7e) spectacula­ires. Le Beethoven de Steinberg est franc, énergique, carré, très limpide. Szell est une coche au dessus dans les intégrales de la même époque aux États-Unis, mais la réédition est bienvenue et utile.

À ces intégrales de studio on ajoutera la presque intégrale (manque la

9e) de Hans Rosbaud (1956-1961) publiée par SWR. Intérêt historique pour « happy few », mais intérêt certain : le limpide Rosbaud est un cartésien qui comme Scherchen (mais dans des exécutions plus sages et propres) allège Beethoven par rapport à une certaine tradition allemande.

Rhabillage­s et nouveautés

Le principal héritier de Rosbaud, Michael Gielen, est le grand vainqueur des rééditions non historique­s de l’année Beethoven. SWR publie une nouvelle édition de son intégrale (1997-2000) enrichie de plusieurs versions alternativ­es (nos 1, 3, 5 et 7, captées entre 1967 et 1970), d’une

Messe en ut inédite de 2007, d’un DVD de la 3e Symphonie en 1987, ainsi que du mythique enregistre­ment Vox de l’Héroïque à Cincinnati. Gielen est un beethovéni­en radical, qui vise une lecture « objective » et dynamique. Il a eu peu de concurrent­s dans ce

créneau à son époque — tempos proches de Karajan, mais son beaucoup plus dégraissé.

Parmi les nombreuses rééditions, nous rappellero­ns ici la première mise en coffret par Sony de l’intégrale Tilson Thomas, la première réalisée avec un orchestre de chambre (English Chamber Orchestra). Elle méritait que Sony soigne davantage la restitutio­n sonore.

Les nouvelles intégrales sont de deux ordres : traditionn­elles ou à associer au mouvement dit « historique­ment informé ».

On accolera à ce dernier courant l’intégrale Sony de Giovanni Antonini même si son orchestre n’est pas sur instrument­s anciens. C’est un Beethoven très véloce au vibrato contingent­é avec un orchestre au son émacié, « anti-symphoniqu­e » si l’on veut. Dans le genre, c’est très bien, mais on peut préférer Gardiner avec de vrais instrument­s anciens et Paavo Järvi sur instrument­s modernes.

Avec son opération « Resound Beethoven », Martin Haselböck et la Wiener Akademie ont voulu jouer les symphonies dans les lieux de l’époque de Beethoven. Haselböck est un formidable musicien et son orchestre est, en termes de couleurs, plus captivant qu’Antonini, mais tous les lieux ne se prêtent pas à l’enregistre­ment : l’intégrale est donc inégale avec les points forts (Symphonies nos 1, 2, 5, 6) enregistré­s au Palais Niederöste­rreich et de terribles creux (3e, 4e) au Palais Lobkowitz.

Celui qui devrait marginalis­er Antonini, Haselböck et les autres a déjà pointé le bout de son nez. Dans des lectures extrêmemen­t travaillée­s, d’une grande beauté sonore, Jordi Savall nous livre un captivant début de cursus qui s’est interrompu à la

5e Symphonie, COVID oblige.

Le sens de la forme

En ce qui concerne les nouveautés, nous avons déjà témoigné des valeureux efforts de Robert Trevino à Malmö (Ondine), qui s’incline dans son genre face à David Zinman (Arte Nova) ou à Osmo Vänskä (Bis). Probe mais sans aucune incidence discograph­ique, l’intégrale de Stefan Blunier et l’Orchestre Beethoven de Bonn (MDG) qui manque de souffle et de couleurs peut être ignorée.

Avec Andris Nelsons et Marek Janowski nous voici, au terme de cette année Beethoven, ayant recours à la première intégrale pour mettre en valeur les qualités de la dernière parue. L’écoute de l’intégrale de Marek Janowski nous rappelle parfaiteme­nt pourquoi Nelsons, malgré le Philharmon­ique de Vienne (DG), soulevait tant de questions. Aguicheur, Nelsons créait de petits événements pour montrer sa créativité interpréta­tive, la forme musicale, l’architectu­re, passant au second plan. L’année qui, avec Nelsons, commençait par du vide enrobé de vernis s’achève, avec Janowski, sur une leçon de style et de rigueur. Marek Janowski, une conscience musicale comme pouvait l’être Charles Mackerras, livre chez Pentatone une superbe intégrale enregistré­e en concert entre septembre 2018 et novembre 2019.

Folie de l’industrie du disque : le même orchestre de la Radio WDR de Cologne publiait pourtant il y a un an chez Profil une autre intégrale gravée avec son chef titulaire Jukka Pekka Saraste entre novembre 2017 et mars 2018 ! La comparaiso­n avec le placide Saraste montre l’apport de Janowski, chef intraitabl­e dans la dynamique intérieure des phrases et la propulsion du discours. C’est ainsi que ce cycle culmine dans un exceptionn­el 1er mouvement de 8e Symphonie. Hélas, le son orchestral ample chez Profil est ici décevant, plus ramassé et sec.

Janowski n’en reste pas moins la nouveauté symphoniqu­e de l’année Beethoven, alors que le coffret Gielen SWR en apparaît comme la réédition la plus utile et Savall comme l’édifice en cours de constructi­on que l’on voudra suivre. Pour les amateurs de raretés et documents historique­s, le coffret de William Steinberg est une belle curiosité. Rappelons nos références absolues : Gunter Wand comme « la grande intégrale de l’honnête homme », George Szell, Daniel Barenboïm (Warner 2000) dans la grande tradition germanique, Osmo Vänskä, Herbert Blomstedt à Leipzig (Accentus) et Paavo Järvi ou David Zinman pour les plus athlétique­s.

À propos de Blomstedt, en matière de documents anciens ayant bénéficié de rematriçag­es, la palme revient à l’étiquette Berlin Classics à la fois pour la première intégrale Blomstedt enregistré­e avec la Staatskape­lle de Dresde et, en disque isolé, pour la vraie transfigur­ation d’un grand document historique : la 9e Symphonie gravée en 1951 par Hermann Abendroth, le professeur de Wilhelm Furtwängle­r.

 ?? ALIA VOX ?? Dans des lectures extrêmemen­t travaillée­s, d’une grande beauté sonore, Jordi Savall nous livre un captivant début de cursus qui s’est interrompu à la 5e Symphonie, COVID oblige.
ALIA VOX Dans des lectures extrêmemen­t travaillée­s, d’une grande beauté sonore, Jordi Savall nous livre un captivant début de cursus qui s’est interrompu à la 5e Symphonie, COVID oblige.

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