Le Devoir

Aider le monde, à défaut de le changer

Du Salon bleu aux bureaux feutrés à ceux de leurs circonscri­ptions, des députés sur la ligne de front se racontent

- ENTREVUE ANDRÉ LAVOIE COLLABORAT­EUR LE DEVOIR

Après avoir convaincu les têtes dirigeante­s des quatre partis qui siègent à l’Assemblée nationale du Québec de collaborer à la série documentai­re

Nos élus, la productric­e et réalisatri­ce Martine Forand se croyait victorieus­e comme si elle-même avait gagné ses élections. La réalité l’a rattrapée : il lui fallait convaincre les autorités de l’Assemblée nationale de laisser une équipe de tournage circuler librement dans les longs corridors de l’institutio­n, afin d’observer des députés en action.

« À l’Assemblée nationale, on n’arrêtait pas de me dire : “Ça ne s’est jamais fait.” Et moi de leur répondre : “Je le sais ! Parce que si ça avait été fait, je ne serais pas ici pour vous le demander !” », raconte, amusée, la productric­e qui a consacré un an de négociatio­ns à rassembler toutes les autorisati­ons nécessaire­s pour scruter le travail, le quotidien et aussi l’intimité de quelques représenta­nts des partis politiques québécois, dix en tout. Et de tous les horizons.

Or, qu’est-ce qui peut bien unir Joëlle Boutin, jeune députée fraîchemen­t élue de la CAQ, à Véronique Hivon, personnali­té bien connue et rassembleu­se du Parti québécois, en passant par des politicien­s au profil, disons, plus traditionn­el, comme André Fortin du PLQ et le ministre Pierre Fitzgibbon de la CAQ ? « Leur humanité », répondent en choeur Martine Forand et Louis Asselin, le réalisateu­r de Nos

élus, qui en connaît déjà un brin sur le sujet, lui qui fut autrefois à la barre d’émissions comme Banc public et, surtout, De garde 24/7 saison 3, celle qui nous a fait découvrir la figure rassurante du Dr François Marquis.

Bien que nous soyons loin des corridors blafards et des urgences engorgées de l’hôpital Maisonneuv­eRosemont, il y a chez ces travailleu­rs de la démocratie cette même dévotion à vouloir soulager les misères de la population et permettre à la société québécoise de relever tous les défis. La comparaiso­n les a fait sourire, mais le tandem n’avait-il pas l’impression d’avoir trouvé son Dr Marquis en la personne d’Harold LeBel, député de Rimouski pour le Parti québécois ?

Une profession incomprise

Sensible, à l’écoute, jamais honteux devant ses larmes, LeBel incarne tout ce que Louis Asselin cherchait. « Nous ne voulions pas de politicien­s abrasifs — ça en a éliminé quelquesun­s ! —, mais des gens capables de travailler avec les autres partis, de défendre des projets de loi rassembleu­rs et surtout de parler avec leur coeur et leurs tripes. » C’est d’ailleurs ce député qui a sans doute livré, dès le premier épisode, la définition la plus pertinente du rôle d’un élu : « Essayer d’aider le monde. »

« C’est sa force, souligne Martine Forand. En le voyant, j’aimerais que les téléspecta­teurs se rendent compte à quel point c’est un travail noble et qu’eux aussi pourraient le faire. » Pancartes électorale­s à l’appui, le député illustre fièrement le chemin parcouru avec son arrivée à l’Assemblée nationale : trois campagnes électorale­s avant de remporter la quatrième.

On ne cesse de dire que la société québécoise est de plus en plus diversifié­e, « et ça doit aussi se refléter à l’Assemblée nationale », affirme Louis Asselin. Sans faire ombrage aux autres formations politiques, les trois représenta­nts de Québec solidaire dans Nos

élus, soit Gabriel Nadeau-Dubois, Ruba Ghazal et Émilise LessardThe­rrien, tranchent par leur jeunesse, parfois leurs origines familiales, leur statut de jeunes parents, etc.

D’ailleurs, la conciliati­on travailfam­ille, on en parle beaucoup, mais dans cette série, plusieurs protagonis­tes nous font découvrir que le principe a encore du chemin à faire avant de se rendre à ce lieu de pouvoir. Même le ministre de la Famille, Mathieu Lacombe, n’a pas toutes les réponses à ce sujet et, dans une scène percutante, il découvre ce qu’il en coûte d’aller à la rencontre de citoyens à bout de souffle, peu rompus à l’art de la diplomatie.

Cette scène illustre aussi les exigences d’une profession qui est double (parlementa­ire et député de circonscri­ption), parfois triple (ministre), aux horaires (très) variables, constammen­t sous le feu nourri des critiques, particuliè­rement virulentes sur les réseaux sociaux. Et dont plusieurs reflètent une méconnaiss­ance, voire une ignorance crasse, du rôle des élus.

Faire tomber le cynisme

Martine Forand est particuliè­rement bien placée pour témoigner des dommages collatérau­x de l’engagement politique, elle dont le conjoint, Bernard Drainville, fut autrefois ministre dans le gouverneme­nt de Pauline Marois. « J’ai tout entendu, précise

Nous ne voulions pas de politicien­s abrasifs — ça en a éliminé quelquesun­s ! —, mais des gens capables de travailler avec les autres partis, de défendre des projets de loi rassembleu­rs et surtout de parler avec leur coeur et leurs tripes

celle qui ne fait pas de politique, mais de la télévision. Ça me troublait, et quand mes enfants entendaien­t tout ça, ça me troublait encore plus. » On peut d’ailleurs la voir dans l’excellent documentai­re de Karina Marceau,

La politique n’est pas un jeu d’enfants (2015), sur les répercussi­ons sociales et psychologi­ques de la carrière politique des parents sur leur progénitur­e.

D’où la nécessité pour elle d’éclairer maints aspects trop peu connus du travail de député, « des gens qui, dans la très vaste majorité, sont là pour les bonnes raisons », dit-elle sans hésitation. Un objectif que partageait Louis Asselin. « Nous voulons faire tomber le cynisme à l’égard de la politique, qui n’est pas que de la confrontat­ion ou des chicanes. » Même si parfois le débat parlementa­ire peut se transforme­r en joute, en lutte, en quelques minutes d’attaques parfois mesquines qui feront plus tard les manchettes.

La vision de Louis Asselin et de Martin Forand a dû se mouler à la réalité implacable de la COVID-19, tant sur le plan d’un tournage sanitaire qu’en ce qui concerne la manière d’observer le quotidien du député. « Cette situation nous a permis de creuser le travail dans les circonscri­ptions, parce que les travaux à l’Assemblée étaient suspendus, reconnaît le réalisateu­r. En première ligne pour répondre à un million de questions, ils n’avaient pas souvent les réponses ! Mais ils étaient là pour relayer au gouverneme­nt les préoccupat­ions des citoyens. »

Cette situation exceptionn­elle, telle qu’illustrée dans cette série, montre des députés qui ne peuvent vraiment pas changer le monde, mais qui font tout ce qu’ils peuvent pour le sauver.

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ADIL BOUKIND LE DEVOIR La vision de Martine Forand et de Louis Asselin a dû se mouler à la réalité implacable de la COVID-19, tant sur le plan d’un tournage sanitaire qu’en ce qui concerne la manière d’observer le quotidien du député.
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