Souldia et Tizzo, rencontre sur la 20
La recrue montréalaise et le vétéran de Québec unissent leurs forces sur un spectaculaire premier album collaboratif
«On vient de la même place, mais pas de la même planète », illustre Souldia lors d’une vidéoconférence que son complice Tizzo et lui accordaient au Devoir en amont de la sortie de leur premier projet conjoint, OFF. La place, c’est la rue ; les planètes, Québec et Montréal, séparées par une autoroute, une rivalité au hockey, mais unies par la fougue de leurs scènes rap respectives.
« Nos parcours se ressemblent, nos modes de vie se ressemblent, mais entre nous, il y a beaucoup de différences, précise Souldia. Montréal et Québec, dans la rue, ce n’est pas pareil ; le slang est différent, les façons de fonctionner sont différentes. Mais peu importe d’où tu viens dans le monde, si ton parcours ressemble à celui de quelqu’un autre, il y a quelque chose qui se passe, un lien se crée. Quand j’ai commencé à entendre parler de Tizzo, je savais que c’était un vrai. Je savais que ce qu’il disait dans ses chansons n’était pas inventé, qu’il ne jouait pas un personnage. Et moi, c’est avec des gens comme ça que j’ai envie de continuer à travailler. » Calé dans un sofa à l’autre bout de la 20, les yeux cachés sous ses nattes, Tizzo opine de la tête en affichant un large sourire.
L’annonce, il y a trois semaines, de la sortie imminente de l’album OFF a provoqué un séisme sur la scène rap québécoise : deux porte-étendards du « rap réalité » — pour reprendre les mots de Souldia —, le vétéran de Limoilou et l’étoile montante de Montréal-Nord, unissent leurs forces sur un projet paraissant conjointement chez Disques 7ième Ciel et Canicule Records. La collaboration n’a pas manqué de faire sourciller les amateurs de hip-hop, reconnaît un Tizzo amusé : « J’aime le fait que [cet album] soit inattendu. Comme WTF ? Parce que nos deux mondes sont quand même différents — même en ce qui concerne nos fans. Je dirais que 20 % de mon public rejoint celui de Souldia. Les réactions sont partagées, c’est vraiment deux mondes » qui se rejoignent sur OFF. De la même place, mais pas de la même planète.
Au fil de leur trajectoire dans le rap québécois, Tizzo et Souldia font le récit de la rue dans laquelle ils ont grandi ; c’est la manière qui diffère. Tizzo possède une énergie contagieuse, presque joviale, qui parvient à dégoupiller la tension de ses textes plus durs ; Souldia, de son côté, possède une énergie plus dramatique qui illustre en des termes imagés mais crus la vie des quartiers difficiles, souvent avec une colère quasi absente du son de son jeune ami.
« Faire un album avec Tizzo, c’était mettre le pied dans quelque chose de nouveau, explique Souldia. Ce gars a une autre manière de dépeindre la rue. Pis moi, ça me fait du bien, intérieurement. [Faire OFF] m’a sorti de mes rimes de dépression à ramper par terre. Moi, je suis beaucoup dans l’émotion, je me renferme vite sur moi-même, alors que Tizzo m’a amené dans une direction [qui m’était] inconnue. »
Sur le plan des thèmes comme de la musique, Souldia s’est laissé entraîner dans l’exubérance caractéristique de Tizzo : OFF est un disque de bravade qui dilue les témoignages plus sérieux dans une complicité, une camaraderie transpirant de chaque couplet. Et si Souldia commençait déjà à explorer des rythmiques moins sombres sur l’album Backstage paru en avril dernier, jamais il n’avait encore osé s’épancher sur une chanson aussi pop et dansante que OFF.
Souldia et Tizzo, qui ont pris contact il y a deux ans lors d’un festival qui les avait réunis sur son affiche, se sont partagé le micro une première fois sur le succès Mega Mula, tiré de l’album Backstage que le vétéran a lancé en avril dernier. Or, c’est Tizzo qui a eu l’idée d’un projet commun, en mesurant la réaction de Mega Mula auprès du public sur YouTube : « Je voyais ça aller sur YouTube, la chanson ramassait plein de visionnements, j’ai texté Souldia : “On fait quelque chose, un EP, un petit projet ?” » Le texto a atterri à 2 h du matin, se souvient Souldia. Il ne s’est pas rendormi : « Lui ai retexté à 7 h du matin : “Zo, t’es disponible quand, pour une semaine ?” »
« Quand je suis arrivé au chalet, je m’attendais à ce que ce soit plus difficile » de voir le bout de ce projet, avoue Tizzo, qui considère son aîné comme un « modèle » sur la scène rap québécoise. Les deux ont été étonnés de la facilité avec laquelle ils parvenaient à pondre des concepts et des strophes. « On est parti, avec nos deux équipes, dans un chalet de luxe entre Montréal et Québec qu’on a transformé en studios — un pour les
beats, l’autre pour les voix », abonde Souldia.
Ils ont tout bouclé en une semaine : composer les beats, écrire les textes, enregistrer les chansons, concevoir la pochette, les photos de presse, le vidéoclip, celui de la chanson Une
ligne qui ouvre l’album avec fracas. « On arrivait là pour faire cinq ou six chansons, mais on est tellement productifs qu’on inventait des rimes tous les jours jusqu’au milieu de la nuit. »
Souldia nous avait habitués à un régime de travail exigeant, lui qui en est déjà à son troisième album paru depuis le début de la pandémie. Voyons ça : il y eut Backstage en avril dernier, suivi de Silence radio à la fin du mois d’août, et aujourd’hui OFF avec Tizzo, qui n’a pas trouvé le temps long depuis que la première vague pandémique s’est abattue sur nous : « Moi, je faisais déjà la quarantaine avant [le début de la première vague]. Je n’étais pas un gars de tournée, je n’étais pas sur la route », dit-il en reconnaissant que la situation est frustrante pour un artiste dont la carrière est en plein essor. Après avoir lancé une poignée de
mixtapes ces deux dernières années, le Montréalais applique présentement les dernières touches à son premier véritable album, attendu tôt en 2021.