Si on pouvait tout voir
Dans le regard des femmes, une douleur ombrée rend urgente la vérité, alors que dans celui de certains hommes, la réalité s’englue
Témoigner du regard
Première traduction en français des textes d’Anne Michaels, qui est déjà traduite en 45 langues, Tout ce que
nous avons vu est un acte de bonté, une ouverture amène vers le tendre, l’entre-deux monde, dans une tentative de réconciliation.
D’entrée de jeu, convenons que nous nous serions passé de l’usage récurrent de l’anaphore, cette répétition d’un même mot ou d’une même formule en début de vers, dans de trop nombreuses pages. Convenons que nous nous serions également passés d’un ton un tantinet fleur bleue devant l’amour indéfectible. Mais hormis cela, le recueil vaut le détour.
Or, sachant qu’« il y a une certaine solitude inhérente à la forme que prend la poésie », comme l’autrice le dit dans le court essai ajouté en fin de recueil et intitulé Anne Michaels
sur l’écriture, nous ne saurions être surpris de trouver dans ces poèmes une sollicitude pour l’autre, une sincère fragilité devant la mort comme devant la vie.
« Chaque mot [est] une chimie qui nous astreint / à de singuliers désirs sans fin », et c’est à partir de cette disponibilité que se développent les fugaces paysages de Michaels. Par exemple, le regard de la poète posé ici sur un simple reflet : « les lanternes déversent leur lumière / dans l’eau / et ne s’éteignent plus // chaque lanterne met le feu à la mer / où elle sombre ». C’est souvent beau, et évident. « Entre ton toucher / et mon cri // entre la mer / et le rêve de la mer », ne situe-t-elle pas tel texte en une formulation lumineuse ?
Empreinte d’humanité, cette poésie sait souvent atteindre le coeur même de la peine : « Quelque part une mère réconforte des affligés / par milliers aux funérailles de son fils », « quelque part un homme répare la nuit, un mot à la fois ». De même que le jour de la mort d’un bison, une autre mort captive, c’est « le moment où le désir / devient par force / le deuil // la distance précise / entre ces deux mots ». Le souffle est ainsi ponctué du grand chagrin devant l’éphémère.
La marche vers la lumière
Lauréate du Prix du Gouverneur général et de celui des Libraires en 2019 pour Le tendon et l’os (2019), son deuxième recueil, Anne-Marie Desmeules nous arrive aujourd’hui avec un livre au très beau titre, Nature
morte au couteau. Une phrase du court essai d’Anne Michaels que nous avons cité plus haut résume cette entreprise d’écriture : « La poésie