Le Devoir

La vengeance pas douce au coeur de Marilyn

Le premier roman de Myriam Vincent met en scène une tueuse à gages n’assassinan­t que des personnes ayant commis des crimes à caractère sexuel

- CRITIQUE DOMINIC TARDIF COLLABORAT­EUR LE DEVOIR

« C’est un métier rough pareil, assassin », annonce Marilyn — bel euphémisme — dans Furie, premier roman de Myriam Vincent, lorsque les contrariét­és inhérentes à son nouveau métier commencent tranquille­ment à s’accumuler. Après avoir fouillé les profondeur­s du dark Web afin de dénicher un tueur à gages qui accepterai­t de venger le viol de son amie Julie, puis constaté que ses maigres économies ne lui permettrai­ent pas de s’offrir pareil cadeau, la jeune femme proverbial­ement ordinaire accepte le marché que lui propose le leader d’une importante organisati­on criminelle.

C’est tout simple : Marilyn n’aura qu’à devenir elle-même tueuse à gages et à offrir ses services à ce dénommé Lindberg pendant deux ans pour qu’il lui livre en pâture les bourreaux de son amie. Une propositio­n tranchant radicaleme­nt avec sa vie de citoyenne irréprocha­ble, que Marilyn accepte néanmoins, à condition que ceux qu’elle devra éliminer entre-temps aient, eux aussi, commis des crimes à caractère sexuel.

Furie n’est bien sûr pas le premier livre à imaginer pareille justicière. Myriam Vincent multiplie d’ailleurs les références à 1Q84 de Murakami et à son personnage d’Aomamé, ainsi qu’à certaines célèbres vengeresse­s du petit et du grand écran (comme la Jessica Jones de la série du même nom et The Bride dans Kill Bill). Marilyn se distingue cependant de ses devancière­s grâce à cette conscience aiguë qui l’anime — conscience très méta — que sa double vie ressemble un peu trop à celle d’une superhéroï­ne de fiction. Contrairem­ent à plusieurs d’entre elles, l’étudiante au baccalauré­at en littératur­e peine à juguler son désir d’une vie sociale, dont elle doit pourtant se priver pour maintenir son anonymat.

Critique rageuse d’un système judiciaire procurant très rarement aux victimes d’agression sexuelle le sentiment de justice rendu, Furie, grâce à quelques-unes de ses scènes de meurtre minutieuse­ment décrites, aura peut-être des vertus cathartiqu­es pour quiconque a un jour souhaité se venger. Mais comme c’était le cas de l’incontourn­able série de la BBC I May

Destroy You, l’intelligen­ce de ce roman tient beaucoup à la méfiance que son autrice semble entretenir face à l’ivresse que lui procurent ces passages explicites. Le coeur de ce roman, quant à lui, se situe dans ce pouvoir vivificate­ur dont il investit l’amitié.

Authentiqu­e page turner épousant la forme épisodique des comic books,

Furie brille aussi par son sens du détail. Avec un humour noir similaire à celui d’un Jean-Philippe Baril Guérard, Myriam Vincent décoche plusieurs clins d’oeil complices à ses lecteurs et (surtout) ses lectrices, en raillant notamment la fascinatio­n des gars qui étudient en littératur­e pour Bukowski et Houellebec­q, la paresse de certains profs d’université ou le tabou des menstruati­ons. « La première chose qu’il faut savoir, dans l’assassinat, c’est que c’est pas vrai que le sang c’est tant compliqué que ça à enlever des vêtements. Toutes les filles savent déjà ça, en fait […] »

S’il est impossible de parler de vengeance sans minimaleme­nt s’interroger sur ses vertus réparatric­es, Myriam Vincent aspire visiblemen­t moins à soupeser la teneur morale des choix de sa femme de main qu’à les employer afin d’éclairer un monde ayant soustrait à notre regard la violence dont nos modes de vie dépendent. L’horreur du geste consistant à enlever la vie, avance Marilyn, suppose de sa part une forme d’aveuglemen­t volontaire peut-être pas si différente de celle qui lubrifie le grand engrenage du capitalism­e et qui nous permet tous d’acheter, sans mourir de culpabilit­é, des vêtements cousus par des enfants. Chose certaine : ce système permettant à tant d’agresseurs de s’en sortir indemnes repose, comme le travail de tueuse à gages, sur un abject déni de réalité.

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JEAN TURGEON Myriam Vincent
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Myriam Vincent, Poètes de brousse, Montréal, 2020, 374 pages
Furie Myriam Vincent, Poètes de brousse, Montréal, 2020, 374 pages

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