Le Devoir

« Pourquoi on ne m’a pas entendue ? » se désole la mère des deux garçons morts à Wendake |

- ANNABELLE CAILLOU

« Pourquoi on ne m’a pas entendue ? » Dans un ultime appel à l’aide, la mère d’Alex et d’Olivier, ces deux frères tués le mois dernier à Wendake, presse Québec d’agir au plus vite pour changer le système qui n’a su la soutenir pour protéger ses enfants, malgré ses nombreuses démarches pour obtenir l’aide de la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ).

C’est le coeur gros, la gorge serrée et les yeux embués de larmes qu’Émilie Arsenault a pris la parole pour la première fois devant les médias dimanche, poussée à l’action par la peine et la colère qui l’habitent depuis la mort de ses deux « amours » de cinq et deux ans. « Je suis en colère contre notre Québec qui se dit doté d’un système de protection à l’enfance. Moi, quand j’ai fait appel à la DPJ pour protéger mes propres enfants, il était où ce système de protection là ? Pourquoi on ne m’a pas entendue ? Pourquoi tous les signalemen­ts pour mes amours n’ont pas été reconnus malgré tout notre bon vouloir ? » a-t-elle lancé aux côtés de son père, Jean-Guy Arsenault, et de l’avocat de la famille, Marc Bellemare.

Les enquêteurs ont retrouvé les corps inanimés d’Alex et d’Olivier dans la nuit du 10 au 11 octobre, dans une résidence de Wendake, en banlieue de Québec.

Michaël Chicoine, le père des deux enfants et ex-conjoint de Mme Arsenault, fait face à des accusation­s de meurtre au deuxième degré et paraîtra de nouveau devant la cour le 12 janvier. Rappelons qu’il s’était rendu de luimême au poste de police du parc Victoria quelques heures avant la macabre découverte des enquêteurs.

Depuis le drame, Mme Arsenault dit vivre un « cauchemar éveillé ». « Je n’ai pas de mots pour vous dire à quel point je m’ennuie. Chaque seconde, mais particuliè­rement avant d’aller dormir, sachez, mes amours, qu’il n’y a pas un soir où je ne vais pas vous border, comme si j’avais la chance de vous avoir encore près de moi », a-t-elle raconté dimanche, s’adressant directemen­t à ses défunts enfants.

Sonner l’alarme

Mme Arsenault a expliqué que trois signalemen­ts avaient été faits à la DPJ, un premier par elle et deux autres par une travailleu­se sociale et un enquêteur. Ils n’ont toutefois « pas été pris au sérieux » et elle n’a jamais reçu l’aide dont elle avait besoin pour protéger ses enfants. « Si vous nous aviez écoutés, j’aurais peut-être la chance de profiter de mon dimanche aujourd’hui avec mes enfants plutôt que de les pleurer. »

Avec cet « ultime appel à l’aide », elle souhaite faire bouger les choses afin que « plus jamais un parent n’ait à vivre ça ». Ses critiques ne s’adressent pas uniquement aux services de la DPJ, mais à l’ensemble du système, qu’elle estime défaillant. « Quand on décide de parler, on doit être entendu maintenant, et recevoir de l’aide maintenant. Pas tomber sur une boîte vocale, pas tomber sur une liste d’attente qui n’a pas de sens. […] Quand on décide de porter plainte, ce n’est pas deux mois plus tard que la police doit nous téléphoner pour faire le suivi. La violence, ça ne prend pas de congé, elle est à nos portes 24 heures sur 24, 365 jours par année. Je l’ai appris à mes dépens. »

Vers une poursuite ?

Cinq enquêtes sont en cours pour faire la lumière sur ce drame. Une de la police, une du coroner, mais aussi une enquête externe sur la DPJ de la Capitale-Nationale ainsi que deux enquêtes de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse.

L’avocat de la famille, Marc Bellemare, a indiqué suivre de près le dossier et n’exclut pas de lancer des actions judiciaire­s contre Québec. La famille se donne toutefois encore du temps pour y réfléchir. Elle souhaite notamment attendre d’obtenir davantage d’informatio­ns des différente­s enquêtes et espère qu’un procès contre le père d’Alex et d’Olivier, Michaël Chicoine, sera déclenché en 2021.

Me Bellemare s’est toutefois montré très clair : « S’il y a matière à poursuite, on n’hésitera pas à le faire », a-t-il dit, jugeant que les cinq enquêtes ne sont qu’un « leurre ». « C’est du monde payé pour faire des récits, questionne­r des gens, formuler des recommanda­tions. Mais c’est évident que, pour la famille, c’est fort peu. On enquête sur une situation qui n’aurait jamais dû se produire. Il faudrait enquêter avant que ça arrive plutôt qu’après. »

Sachez, mes amours, qu’il n’y a pas un soir où je ne vais pas vous border, comme si j’avais la chance »

de vous avoir encore près de moi

ÉMILIE ARSENAULT

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