Des milliards insuffisants pour décarboniser le Québec ?
Pour le gouvernement Legault, la lutte contre les changements climatiques passera d’abord par des investissements de plus de trois milliards de dollars dans le secteur des transports au cours des cinq prochaines années, a appris Le Devoir. Québec espère notamment électrifier 30 % du parc automobile d’ici 2030. Mais malgré des investissements sans précédent, le « Plan pour une économie verte » qui sera dévoilé lundi risque d’être insuffisant pour atteindre les cibles climatiques de la province.
Les « principaux investissements » prévus dans le « plan de mise en oeuvre » de la stratégie climatique pour la période 2021-2026 totalisent 4,5 milliards de dollars, indiquent les informations financières détaillées récemment mises à jour et obtenues par
Le Devoir. De cette somme, près de trois milliards sont prévus pour le financement de différentes mesures en transport destinées à réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) de ce secteur, responsable à lui seul de 43 % des émissions du Québec.
Le gouvernement devrait ainsi injecter un milliard en cinq ans afin de poursuivre l’électrification du parc automobile de la province. Cela passera essentiellement par le maintien des subventions destinées aux acheteurs et par la multiplication des bornes de recharge sur le réseau routier, dans le secteur résidentiel et en milieu de travail.
Québec espère dans un premier temps que 1,5 million de véhicules électriques rouleront sur nos routes d’ici 2030 (contre environ 80 000 à l’heure actuelle), ce qui équivaudrait alors à environ 30 % des « véhicules automobiles légers ». Lundi, le ministre de l’Environnement, Benoit Charette, doit aussi annoncer l’interdiction de la vente de voitures et de véhicules utilitaires sport (VUS) à essence d’ici 2035.
Le gouvernement a également prévu près de 500 millions afin d’électrifier progressivement les autobus urbains, scolaires et interurbains. D’ici la fin de la décennie, la moitié des autobus scolaires pourraient ainsi être électriques. On souhaite aussi électrifier 40 % de la flotte de taxis.
Une autre enveloppe de 1,5 milliard de dollars est prévue pour contribuer à la réalisation de six projets de « transport collectif électrique » d’ici 2030. Déjà connus, ces projets comprennent le réseau « structurant » de Québec, mais aussi des projets dans la région de Montréal. Les sommes inscrites dans le Plan pour une économie verte
Pour répondre à l’augmentation de la demande, particulièrement en temps de pandémie, le gouvernement Legault bonifie de 100 millions de dollars l’aide aux soins à domicile, dont une partie servira à augmenter les salaires. Une aide bien accueillie par le réseau des entreprises d’économie sociale en aide à domicile (EESAD).
« Alors que le délestage des services de soutien à domicile des entreprises d’économie sociale en aide à domicile et le manque de reconnaissance des 8700 préposées d’aide à domicile ont marqué la première vague de la pandémie, nous sommes heureux de constater que le gouvernement du Québec reconnaît enfin l’importance de leur travail », soutient Benoit Caron, directeur général du Réseau de coopération des EESAD dans un communiqué de presse publié dimanche.
Mais il faut aller encore plus loin, affirme-t-il : « Nous saluons les investissements en soutien à domicile annoncés aujourd’hui, qui permettront à encore plus d’usagers de recevoir des services essentiels. Cependant, force est de constater que les besoins en soutien à domicile sont criants et nécessitent d’entreprendre immédiatement un chantier vers un virage pour faire du soutien à domicile la première option. »
Le ministre de la Santé, Christian Dubé, constate lui aussi que la demande pour les soins à domicile est en croissance. « Déjà, avant la pandémie, la demande pour du soutien à domicile
avait commencé à augmenter, a soutenu le ministre en conférence de presse dimanche. Et comme dans d’autres domaines, la demande a été augmentée par la pandémie. On sait tous que les Québécois, de plus en plus, veulent rester chez eux le plus longtemps possible entourés des leurs. C’est un choix que notre gouvernement a à coeur. »
En compagnie de la ministre responsable des Aînés, Marguerite Blais, le ministre a annoncé dimanche matin la bonification de 100 millions de dollars, une somme récurrente qui s’ajoute aux 280 millions déjà annoncés par le gouvernement de la CAQ ces dernières années. « On en est convaincus, le soutien à domicile, c’est la voie de l’avenir », a résumé Marguerite Blais.
De ces 100 millions, la somme de 65 millions ira aux CISSS et aux CIUSSS pour augmenter le volume et l’intensité des services. « On sert déjà 370 000 personnes dans le soutien à domicile, donc on va augmenter les heures pour certaines personnes et il y aura à peu près 1 150 personnes de plus qui vont être servies », a précisé le ministre.
L’augmentation des services va permettre également d’offrir davantage
65 millions
C’est la somme, comprise dans l’enveloppe de 100 millions de dollars annoncée dimanche par Québec qui ira aux CISSS et aux CIUSSS de la province.
de répit aux proches aidants des personnes âgées, mais également des personnes avec un handicap physique ou intellectuel.
Une autre somme de 35 millions servira à bonifier les salaires des gens qui offrent le soutien à domicile, que ce soit dans une entreprise d’économie sociale d’aide à domicile (EESAD) ou avec des ententes de gré à gré pour les familles. Le salaire des préposés sera augmenté de 1,75 $ l’heure, passant ainsi de 14,25 $ l’heure à 16 $ l’heure.
Suivi nécessaire
Philippe Voyer, de la Faculté des sciences infirmières de l’Université Laval et chercheur au centre d’expertise sur le vieillissement, voit également cette annonce d’un très bon oeil. « Ce qui est intéressant de cet investissement, c’est que ça va directement influer sur les salaires pour favoriser la rétention du personnel. Parce que lorsque le gouvernement a créé la formation pour devenir préposés en CHSLD avec une offre salariale annuelle de près de 50 000 $, plusieurs milieux offrant des soins à domicile ont eu de la difficulté à garder leur personnel. Et donc, je vois qu’il y a une préoccupation du gouvernement à ce sujet, et ça, c’est très positif. »
Il se réjouit des 35 millions qui iront directement dans les poches des salariés et des entreprises d’économie sociale d’aide à domicile, mais se questionne sur l’emploi des 65 millions dans les CISSS et les CIUSSS. « Vont-ils augmenter la couverture de soir, de nuit et de fin de semaine ? C’est un élément qui est souvent critiqué, car les besoins des usagers ne sont pas limités à du 9 h à 17 h du lundi au vendredi. Ça prend des services 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. »
Ces investissements supplémentaires changeront-ils vraiment les choses sur le terrain ? « L’avenir nous le dira, répond Philippe Voyer. On n’est certainement pas contre des investissements, mais ça va être important de faire le suivi sur l’intensité des services pour voir si notre modèle est performant », conclut-il.