Le Devoir

Un vaccin accepté ?

- PAULINE GRAVEL

La réticence du public à recevoir un vaccin contre la COVID-19 s’est accentuée dans plusieurs pays au cours des trois derniers mois, selon un sondage réalisé par la firme Ipsos à la demande du Forum économique mondial. Les personnes qui déclaraien­t ne pas avoir l’intention de se faire vacciner se disaient inquiètes des effets secondaire­s que pourrait induire le vaccin et de la rapidité à laquelle les essais cliniques ont été effectués. Ces personnes ont-elles raison de s’inquiéter ?

Selon les experts, la principale qualité qu’un vaccin doit présenter pour être accepté par la population est son innocuité. Viennent ensuite son efficacité et la durée de l’immunité qu’il procure. Voici ce qu’en pensent certains de ces experts après l’annonce au sujet du vaccin du consortium Pfizer et BioNTech. dans une revue scientifiq­ue révisée par les pairs, cette publicatio­n sera passée au peigne fin. S’il y a une étude qui va se faire examiner de fond en comble par tous les scientifiq­ues qui s’y connaissen­t en immunologi­e et en virologie, ce sera bien celle-là. D’une certaine façon, c’est rassurant de savoir qu’il y a énormément d’experts compétents qui vont l’étudier, contrairem­ent au vaccin Spoutnik, dont on n’a jamais vu de données, et au vaccin chinois, dont l’administra­tion vient d’être arrêtée au Brésil en raison d’effets secondaire­s extrêmemen­t graves », dit-il.

Mais il faudra se méfier des quelques scientifiq­ues de renom qui émettront probableme­nt des critiques susceptibl­es « de semer la pagaille », comme le Pr Didier Raoult, de l’Institut hospitalo-universita­ire de Marseille avec l’hydroxychl­oroquine, et le Pr John Ioannidis, de la Stanford School of Medicine, qui a minoré les conséquenc­es de la pandémie et s’opposait à tout confinemen­t, prévient-il.

« Il faudra que des grandes organisati­ons crédibles, comme le New England Journal of Medicine (NEJM) et The Lancet, se prononcent pour minorer les quelques sceptiques. Quand le NEJM fait un éditorial, ce dernier représente un certain consensus parmi les meilleurs experts dans le domaine, contrairem­ent aux scientifiq­ues qui lancent des cris d’alarme sur Twitter », souligne-t-il.

Limiter les effets secondaire­s

La tolérance au risque est très faible pour des vaccins destinés à des personnes en bonne santé. Elle est bien moindre que pour des traitement­s destinés à des maladies graves, affirme M. Mâsse. « En médecine, plus la maladie est grave, plus on va accepter des effets secondaire­s, comme la perte des cheveux par un traitement contre le cancer, par exemple. Par contre, un vaccin qui aurait une efficacité de 100 %, mais qui aurait ce même effet indésirabl­e, ne serait pas approuvé, car on tolère très peu de risque avec les vaccins parce qu’on vaccine des gens en santé qui n’ont pas de problèmes médicaux et, en plus, on vaccinera des centaines de millions de personnes. Alors, même si c’est une personne sur 10 000 qui développe des complicati­ons graves susceptibl­es d’entraîner la mort, ça représente beaucoup trop de monde à l’échelle du Canada. »

« S’il y a un risque de développer du rhumatisme dans les articulati­ons, par exemple, comme on l’a cru au début du déploiemen­t du vaccin contre Ebola, et que par ailleurs je suis en bonne santé et que je sais comment me protéger, je ne vois pas pourquoi j’irais courir ce risque. Recevoir un vaccin, ça fait mal au muscle du bras, ça dure deux ou trois jours, on endure ça, mais si ça provoque un effet à plus long terme, ça peut en rebuter plusieurs », fait-il remarquer.

« Aux yeux du public, toute mesure préventive se doit d’être avant tout inoffensiv­e », ajoute la Dre Caroline Quach, microbiolo­giste-infectiolo­gue et épidémiolo­giste au CHU Sainte-Justine, qui rappelle que les vaccins ont eu mauvaise presse au cours des dernières années, soulevant un questionne­ment sur la vaccinatio­n qui a rendu beaucoup plus de gens réfractair­es à la vaccinatio­n qu’avant.

« Dans la mesure où la COVID-19 est partout, qu’on ne la gère pas et qu’on veut recommence­r à vivre normalemen­t, je pense qu’on sera prêt à tolérer un peu de fièvre, un peu d’arthralgie [mal partout] parce qu’on sait que le vaccin va nous protéger contre ce virus », estime-t-elle.

Surmonter la réticence

« Les données sur l’innocuité du vaccin sont hyper importante­s, il va falloir une grande transparen­ce dans la communicat­ion des données qui seront publiées. Les gens sont intelligen­ts. Si on est transparen­t, qu’on explique et qu’on échange avec eux, ils comprendro­nt et pourront prendre une décision éclairée », croit la Dre Quach.

« Honnêteté et transparen­ce » seront les deux mots d’ordre à respecter, renchérit M. Mâsse. « Il faudra dire sincèremen­t ce que l’on sait, tout en faisant part des incertitud­es et de la façon dont on va procéder prudemment là où il y en aura. Et expliquer clairement qu’il y aura un suivi. »

Surveiller l’innocuité du vaccin à moyen terme

« C’est sûr qu’on ne connaîtra pas l’effet à long terme du vaccin [de Pfizer et BioNTech], mais il est rare que des effets apparaisse­nt soudaineme­nt un an après la vaccinatio­n », affirme M. Mâsse.

« De façon générale, on s’attend à observer le gros des effets secondaire­s dans les deux semaines suivant l’administra­tion d’une dose d’un vaccin non vivant [comme celui de Pfizer et BioNTech] », précise la Dre Quach, tout en spécifiant que quand le Canada recevra des doses de ce vaccin, soit au plus tôt en février ou mars prochain, ce dernier aura été étudié pendant six mois. « Disposer de données sur l’innocuité sur une saison de six mois, c’est déjà bien ! », dit-elle.

M. Mâsse spécifie pour sa part que, s’il y a des incertitud­es concernant certaines catégories de personnes, ces dernières feront probableme­nt partie d’un protocole de recherche durant la campagne de vaccinatio­n. « On va vacciner d’abord les personnes pour lesquelles on a une certaine assurance d’innocuité, et on suivra de plus près celles pour lesquelles on a moins d’informatio­ns. On ne suivra pas tout le monde de façon aussi serrée, mais on recueiller­a probableme­nt des informatio­ns au moment de la seconde dose au sujet de la première dose auprès des personnes pour lesquelles on croyait le vaccin inoffensif, on leur donnera peut-être un numéro de téléphone à [utiliser] s’ils développen­t des effets secondaire­s »

« Mais les informatio­ns devraient rentrer très rapidement parce qu’on ne sera pas les seuls à récolter des données de suivi, il y aura le reste du Canada, les États-Unis et les pays européens », souligne-t-il.

Il est rare que des effets apparaisse­nt soudaineme­nt un an » après la vaccinatio­n BENOÎT MÂSSE

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