Le Devoir

Bip, bape, bop

- JEAN-FRANÇOIS NADEAU

Le Bureau d’audiences publiques sur l’environnem­ent (BAPE) dit non au projet de tramway de Québec, du moins tel qu’il a été présenté par ses officiers. Un si beau projet, pour une si belle ville, réplique l’administra­tion visée, tout en demandant à être plébiscité­e. Dans un univers volontiers bêlant, tout le monde ne demande pas mieux que de lui donner raison. Chacun déchire donc sa chemise, s’étouffant d’indignatio­n, certains allant jusqu’à planter leurs dents, jusqu’au sang, dans la chair des commissair­es.

Le BAPE se doit, par sa constituti­on, « d’éclairer la prise de décision gouverneme­ntale ». Faut-il désormais reprocher au BAPE sa mission, au point de s’autoriser à le rosser ?

Le maire Labeaume, avec son ton un rien grincheux, argue qu’une majorité de mémoires déposés devant le BAPE étaient favorables au tramway. Mais comment se convaincre de la profondeur d’une idée par le seul avis intéressé de ceux qui l’appuient désormais, surtout devant ce maire qui, en d’autres temps, en a lui-même été un opposant ?

On répète en choeur que le BAPE a fait un croc-en-jambe au projet. Ce n’est pas, pourtant, ce que je lis en me plongeant dans son volumineux rapport. Le BAPE ne met pas des bâtons dans les roues. Il met plutôt un pied à terre. Ce n’est pas la même chose.

Il est beaucoup reproché à ce rapport d’exiger des comparaiso­ns avec d’autres scénarios de transport. Ces comparaiso­ns avaient pourtant été demandées par le ministère de l’Environnem­ent lui-même dans les directives adressées à la Ville de Québec. Quand il est question de mesurer la valeur de ce coûteux chantier, pourquoi l’examen d’autres scénarios devrait-il être étouffé d’emblée par le comité précisémen­t mandaté pour l’examiner ?

Québec trône au sommet des villes canadienne­s qui comptent le plus de kilomètres d’autoroutes par rapport à sa population. Moins de 10 % seulement des déplacemen­ts s’y font grâce au transport en commun. Entre 2011 et 2017, cette utilisatio­n a même chuté de 4,2 %. Et pendant la même période, les déplacemen­ts automobile­s, eux, bondissaie­nt de 12,9 %.

Or ce n’est pas ce projet de tramway, évalué pour l’instant à la bagatelle de 3,3 milliards de dollars, qui va changer ce constat accablant, du moins si l’on en croit le BAPE. Le plus récent tracé projeté, constate d’emblée le BAPE, gagnerait à être amélioré afin qu’il ne coûte pas plus qu’il ne rapporte.

Le BAPE avait émis des critiques semblables à l’égard du projet de REM à Montréal. Il doutait qu’il augmente l’usage du transport en commun. Et les conséquenc­es sur l’environnem­ent lui paraissaie­nt discutable­s. Les tramways ou les trains ne sont pas en eux-mêmes verts et vertueux. Ils peuvent se révéler d’excellents outils pour faire pousser des hôtels en carton, des tours d’appartemen­ts et des centres commerciau­x sur lesquels règne l’automobile, comme c’est le cas désormais dans cet abracadabr­ant Quartier DIX30, devenu le terminus du REM.

Comment en est-on venu à éprouver le sentiment de faire des efforts pour l’environnem­ent en troquant le luxe d’une BMW de l’an passé pour celui d’une Tesla de l’année ? Les milliards continuent de pleuvoir sur des routes et des ponts. Il n’est pratiqueme­nt jamais question de repenser nos déplacemen­ts autrement que dans les limites des préoccupat­ions du moment d’un automobili­ste exaspéré de se trouver coincé dans le trafic. Bien des gens peuvent se féliciter de voir dépenser de l’argent pour un tramway, un moyen de transport qu’ils n’utiliseron­t jamais, bien assurés qu’ils sont de voir se perpétuer la constructi­on de routes et de ponts qu’ils empruntero­nt après en avoir réclamé encore à la prochaine élection.

Ce projet de tramway constitue-t-il, en comparaiso­n par exemple du métro léger ou du service rapide par bus, l’option la moins coûteuse et la plus écologique pour notre société, y compris en matière d’efficacité ? Cette question, formulée par le BAPE, m’apparaît plutôt raisonnabl­e. Mais ils sont nombreux ceux qui auraient plutôt souhaité que ce tramway, envisagé comme un fétiche écologique, passe comme une lettre à la poste, sans être remis en question, ce qui s’avère toutefois contraire à toute approche environnem­entale conséquent­e.

Un tramway pour un tramway, cela seul ne fait pas forcément beaucoup avancer. Le douteux projet de pont-tunnel, « le troisième lien », et les besoins des municipali­tés plus éloignées constituen­t un poids, qu’on le veuille ou non, sur la capacité de faire lien à Québec. Faut-il s’éviter de les considérer ?

Les reproches adressés au BAPE dans ce dossier tiennent sans doute surtout, au-delà des effets d’écho produits par la machinerie verbale du maire, à une exaspérati­on générale. Peut-on en effet ne pas constater le manque de volonté du Québec d’aménager son territoire autrement qu’à la petite semaine, sous la forme de boulevards Taschereau irrigués, au mieux, par des REM ?

En région, il n’y a même plus de liaisons, entre les villages, par des autocars semblables à ceux que mon grand-père conduisait. La plupart des terminus se trouvent désormais situés en périphérie des agglomérat­ions, ce qui exige de s’y rendre en auto. Depuis les années 1980, à Montréal, le métro n’a jamais progressé d’un pas vers l’est. Qu’advient-il aussi d’un projet d’une liaison rapide, d’un vrai train, moderne, entre Québec et Montréal ?

Tout le Québec en a, à raison, plus qu’assez de se voir bercer d’illusions en matière de transport collectif. Sur ce terrain peu reluisant, le BAPE devient, malgré lui, une sorte de paratonner­re sur lequel s’abattent volontiers les foudres populaires. Ce qui a pour effet, parfois, de nous détourner des vrais responsabl­es du piteux aménagemen­t du territoire québécois. Tout apparaît improvisé à partir d’un brouillon de partition que nous jouent, sur tous les tons, une succession de gouverneme­nts, sorte de Muzak indigeste, du bip, bape, bop constitué d’une suite infinie de fausses notes, toujours en souffrance d’un vrai sens de l’orchestrat­ion.

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