Le Devoir

OEillères bureaucrat­iques

- ROBERT DUTRISAC

Il y a quelque chose de franchemen­t incompréhe­nsible dans la partie de ping-pong bureaucrat­ique dont font les frais les nouveaux arrivants qui se trouvent déjà en sol québécois avec un certificat de sélection du Québec (CSQ) en main et qui attendent que le gouverneme­nt fédéral daigne leur délivrer le statut de résident permanent, c’est-à-dire les admettre comme immigrants avec tous les droits que cela comporte. Vendredi, plus d’une centaine de personnes ont manifesté à Montréal et à Québec afin de dénoncer les délais pour l’obtention de la résidence permanente, délais qui dépassent souvent les 24 mois. Dans certains cas, elles se plaignent de ne pas avoir reçu d’accusé de réception de la part d’Immigratio­n, Réfugiés et Citoyennet­é Canada (IRCC), la preuve écrite que leur dossier est complet. L’accusé de réception est aussi un document exigé afin de bénéficier de la couverture de la Régie d’assurance maladie du Québec, pour maintenir en vigueur un CSQ à son échéance ou pour reconduire le permis de travail fédéral. Les dossiers sont traités en Nouvelle-Écosse par les autorités fédérales.

À Ottawa, on rejette le blâme sur le gouverneme­nt caquiste, qui aurait demandé de ralentir la cadence parce que le nombre d’immigrants admis, comme le prévoit le Plan d’immigratio­n du Québec, serait atteint. À Québec, on dément ces informatio­ns. Au contraire, on aurait demandé à IRCC d’accélérer le traitement des dossiers des candidats déjà présents en sol québécois.

Cette année, le gouverneme­nt fédéral a conféré le statut de résident permanent à moins de candidats que ne le prévoyait le Plan d’immigratio­n du Québec, soit 17 000 immigrants admis de moins, toutes catégories confondues. Au cours des deux prochaines années, le ministère de l’Immigratio­n, de la Francisati­on et de l’Intégratio­n a demandé au fédéral de procéder à un rattrapage pour combler ce retard.

À Québec, on explique la situation par la pandémie. Les objectifs auraient été compromis par les restrictio­ns de voyage et la fermeture de bureaux fédéraux de l’IRCC dans le monde. Or cela n’explique en rien le fait que des candidats sélectionn­és qui travaillen­t déjà au Québec doivent attendre des années avant d’obtenir leur résidence permanente et avant de figurer dans la statistiqu­e des immigrants admis du Plan d’immigratio­n. C’est d’autant plus incompréhe­nsible qu’il existe un important « inventaire » — c’est le terme que les fonctionna­ires emploient — de personnes qui sont en attente de leur statut de résident permanent et qui y ont droit.

Selon les données obtenues du gouverneme­nt fédéral par l’Associatio­n québécoise des avocats et avocates en droit de l’immigratio­n, cet inventaire compterait 27 000 dossiers sans qu’on sache précisémen­t combien de personnes sont visées.

Il est utile de rappeler que les dossiers en attente s’élevaient à plus de 40 000 quand les caquistes sont arrivés au pouvoir, un héritage du gouverneme­nt libéral. Comme le gouverneme­nt Legault s’en est tenu à sa promesse électorale d’abaisser de 20 % le nombre d’immigrants admis, la possibilit­é de faire diminuer rapidement le nombre de dossiers en attente s’en est trouvée réduite. De plus, près de la moitié des nouveaux candidats à l’immigratio­n choisis par Québec — ou 12 000 personnes — provenait du Programme de l’expérience québécoise (PEQ), qui accordait automatiqu­ement un CSQ aux travailleu­rs temporaire­s et aux étudiants étrangers qui en faisaient la demande et qui parlaient français. En juin dernier, le gouverneme­nt caquiste a resserré les règles, mais, pour l’essentiel, le PEQ demeure. On projette de choisir davantage de candidats répondant aux stricts besoins des employeurs grâce au programme Arrima. Jusqu’ici, pour le dire le plus charitable­ment possible, Arrima n’a pas pris son envol, si ce n’est de susciter plus de 150 000 déclaratio­ns d’intérêt, dont moins de 1 % ont abouti.

Quoi qu’il en soit, ni l’incurie administra­tive du fédéral ni les contrainte­s du Plan d’immigratio­n du Québec ne sauraient justifier que des personnes qui détiennent un CSQ et qui habitent et travaillen­t au Québec depuis des années n’obtiennent pas leur résidence permanente rapidement. Le gouverneme­nt Legault doit demander aux autorités fédérales de sortir de leur torpeur et de mettre les bouchées doubles. Oui, le nombre d’immigrants admis fera un bond, et après ? Cela ne changerait strictemen­t rien à la réalité des choses : ces gens-là sont déjà ici, ils participen­t déjà à la société québécoise.

Certes, même si le Québec a obtenu le pouvoir de sélectionn­er une partie de son immigratio­n, le système demeure bancal. Les deux ordres du gouverneme­nt doivent cesser de se relancer la balle et retirer leurs oeillères bureaucrat­iques. Après tout, c’est le sort de personnes en chair et en os dont il s’agit.

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