Le Devoir

Revenir à l’essentiel en éducation

- Stéphane Allaire Professeur en pratiques éducatives, Départemen­t des sciences de l’éducation, Université du Québec à Chicoutimi

Je participai­s récemment à une table ronde. Par visioconfé­rence, bien sûr. Des enseignant­s ainsi que des élèves du secondaire et un étudiant universita­ire discutaien­t de ce que la pandémie révèle sur le plan de l’enseigneme­nt et de l’apprentiss­age. À la fin de la rencontre, l’animatrice a demandé aux élèves quelles propositio­ns ils feraient à leurs enseignant­s s’ils en avaient la possibilit­é. Et vice-versa. Devant tant de lucidité de la part des adolescent­s, je les ai encouragés à disséminer leurs propos. Je m’en fais ici un porte-voix, tout en poursuivan­t la réflexion.

Indulgence. Plaisir. Relation. Conversati­on. Voilà l’essentiel de leurs suggestion­s, qui étaient formulées dans des termes semblables à ce qui suit.

« Ne pas mettre d’absence machinalem­ent lorsque nous arrivons deux minutes après le début de la visioconfé­rence. C’est souvent parce qu’il y a une difficulté de branchemen­t. »

« Nous faire confiance et permettre que notre microphone soit allumé. Ce n’est pas très naturel de voir tout le monde rire d’une blague faite par notre enseignant sans qu’on puisse s’entendre. »

« Arrêter de donner du contenu pendant toute l’heure de cours. Ça devient fatigant et, puisqu’on ne peut plus voir nos amis après l’école, ce serait bien de pouvoir échanger avec eux tout en apprenant. »

« Faire autre chose que donner des lectures ou des vidéos. »

Revenir à l’essentiel. Voilà ce que ces jeunes demandent candidemen­t et poliment. Et je parie qu’ils ne sont pas les seuls.

En ces temps de distanciat­ion physique, il apparaît particuliè­rement important de mettre le cap sur le coeur de ce qu’est l’enseigneme­nt, c’est-à-dire une relation humaine. Le fait d’être en numérique n’anéantit pas automatiqu­ement cet aspect relationne­l, mais il le complique. Un effort supplément­aire est donc requis pour que l’écran ne fasse pas écran.

Il importe d’accepter de faire des choix pour préserver le coeur, sans toutefois y passer. Or, pourquoi nous entêtons-nous à poursuivre les mêmes objectifs de performanc­e qu’en temps normal, comme si l’on faisait fi du fait que nous faisons face à un contexte exceptionn­el ?

Par exemple, est-ce si dramatique d’escamoter des éléments de contenu ? L’apprentiss­age d’une discipline ne se réduit pas qu’à une accumulati­on d’informatio­n. C’est aussi une façon de penser, de réfléchir. C’est sans considérer que la connaissan­ce réside aussi dans l’interactio­n.

Puisque la quantité d’enseigneme­nt n’est pas systématiq­uement garante de la qualité de l’apprentiss­age, pourquoi requérions-nous la prolongati­on de l’année scolaire en juillet, en échange d’une ou deux semaines de répit supplément­aires bien méritées pendant les Fêtes ? Si ce repos est salutaire pour tous et qu’il permet de nous recentrer sur l’essentiel, pourquoi ne pas nous accorder collective­ment cette flexibilit­é ? A-t-on réellement besoin d’un tel minutage obsessif alors que la frontière entre la vie personnell­e et profession­nelle n’a jamais été aussi poreuse ?

Pourquoi, alors que de plus en plus d’études indiquent des seuils alarmants d’isolement, d’anxiété et de détresse psychologi­que, n’assoupliss­ons-nous pas le fardeau de la performanc­e en suspendant maintenant les examens ministérie­ls ? Cela aiderait tout le monde à se recentrer sur un pilier fondamenta­l de l’apprentiss­age : le plaisir.

Ces quelques exemples pointent tous vers un constat semblable. En dépit d’une situation exceptionn­elle nécessitan­t de l’adaptation de la part de tous, nous demeurons prisonnier­s de procédures et de pratiques que nous alimentons à certains moments, et dont nous sommes victimes à d’autres.

Alice, Florence, Thomas et Virginie nous ont plutôt rappelé de revenir à l’essentiel.

L’essentiel, ce n’est pas de passer coûte que coûte à travers un cahier d’exercices ou un recueil de textes. L’essentiel, ce n’est pas d’élaborer un plan quinquenna­l alors que nous ne savons pas ce qui se passera au printemps. Ni de « paperasser » sur le parachèvem­ent compulsif d’un formulaire A-38. Ce qui est cardinal, c’est la dimension relationne­lle.

Il apparaît particuliè­rement important de mettre le cap sur le coeur de ce qu’est l’enseigneme­nt, c’est-à-dire une relation humaine

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