Le Devoir

Une nouvelle réflexion sur le développem­ent urbain suscitée par la pandémie

La pandémie aura permis de lancer une nouvelle réflexion sur le développem­ent urbain

- JEANNE CORRIVEAU

La pandémie de COVID-19 a bousculé les habitudes des citadins et forcé les autorités à repenser les espaces publics afin de faire plus de place aux piétons dans la ville. Et si la ville du futur s’inspirait de cette transforma­tion ? À l’Université Concordia, des chercheurs ont décidé de mettre en commun leurs expertises pour réfléchir à la création de villes plus durables.

Au printemps dernier, dans l’urgence, la Ville de Montréal a aménagé des corridors, qu’elle a baptisés les voies actives sécuritair­es (VAS), afin de faciliter les déplacemen­ts des piétons. Les trottoirs ont été élargis, empiétant sur la chaussée, et des artères commercial­es ont été fermées à la circulatio­n automobile. L’espace d’un été, les piétons sont devenus rois dans certains secteurs de la métropole.

« La pandémie a été comme une perturbati­on qui a facilité et même accéléré les changement­s. On a vu cet été que davantage de place a été faite aux piétons et aux pistes cyclables. Ce fut plus rapide. Les gens ont compris qu’il était important de rester actif et d’avoir accès aux espaces verts », explique Ursula Eicker, titulaire de la Chaire d’excellence en recherche du Canada sur les collectivi­tés et les villes intelligen­tes, durables et résiliente­s de l’Université Concordia.

C’est elle qui codirige le nouvel « Institut sur les villes nouvelle génération ». Lancé officielle­ment cette semaine, cet institut réunit quelque 200 chercheurs de l’université et vise à repenser les pratiques en matière d’aménagemen­t urbain et de développem­ent durable pour la conception de villes du futur, plus vertes et plus conviviale­s. Les chercheurs issus de diverses discipline­s, comme la science, le génie, les sciences humaines et les arts, entendent élaborer des modèles de développem­ent qui, espèrentil­s, pourront être appliqués dans la métropole.

Avec l’arrivée de l’automne et le reconfinem­ent partiel, les automobile­s ont repris leurs droits dans les rues de la ville. La métamorpho­se urbaine aura-t-elle été éphémère ?

Ursula Eicker, qui plaide en faveur d’une ville axée sur un développem­ent plus écologique, croit que, d’une certaine manière, la pandémie a stimulé une réflexion sur les changement­s à apporter dans la ville pour la prochaine génération. Mais ce genre de métamorpho­se représente un travail de longue haleine, qui devra s’échelonner sur une plus longue période qu’une pandémie, prévient-elle.

La « ville 15 minutes »

Le champ de recherche de l’Institut ne se limite pas aux enjeux de mobilité ou d’urbanisme, mais s’étend à une panoplie d’autres volets qui façonnent les villes. À cet égard, Ursula Eicker souligne l’importance de miser sur des bâtiments performant­s d’un point de vue énergétiqu­e pour concevoir des villes résiliente­s. En février dernier, elle a d’ailleurs plaidé en faveur de bâtiments à empreinte carbone nulle à l’occasion des audiences de l’Office de consultati­on publique de Montréal sur le projet Namur-Hippodrome.

Titulaire de la Chaire de recherche de Concordia en conception intégrée, écologie et durabilité du milieu bâti, Carmela Cucuzzella, qui codirige aussi le nouvel institut, évoque le concept de ville à 15 minutes de marche, un principe que les villes du C40 (Cities Climate Leadership Group) — dont Montréal fait partie — ont mis en avant en juillet dernier pour réaliser la relance post-pandémie et lutter contre les changement­s climatique­s.

Ce concept vise à favoriser la création de quartiers denses, où les résidents vivent tout en étant en mesure de travailler et de faire leurs achats à une distance raisonnabl­e.

Si le concept est attrayant, car il permet de créer une ville écologique, il est difficilem­ent applicable dans de nombreux quartiers à Montréal à l’heure actuelle, croit Mme Cucuzzella. « Le problème à Montréal, c’est qu’il n’y a pas assez de secteurs densifiés. Sans une densité suffisante, le secteur commercial peut difficilem­ent survivre. Ça demande beaucoup de préparatio­n et de réflexion », dit-elle, en insistant sur l’importance de concevoir des quartiers attrayants comportant des espaces verts et sur la nécessité d’une implicatio­n citoyenne et communauta­ire dans la démarche.

Bien que controvers­é, le Réseau express métropolit­ain de la Caisse de dépôt et placement du Québec pourrait, à sa façon, contribuer à la réalisatio­n du concept de « ville 15 minutes », avance Carmela Cucuzzella : « Je pense que c’est un pas dans la bonne direction. »

Selon elle, certains projets de développem­ent montréalai­s pourraient servir de laboratoir­es et bénéficier du travail des chercheurs de différente­s discipline­s. Le secteur de Namur-Hippodrome, que la Ville de Montréal souhaite transforme­r en milieu de vie carboneutr­e axé sur le transport actif et collectif, pourrait être l’un de ces projets de « démonstrat­ion » sur les pratiques de développem­ent du futur, dit-elle.

L’après-pandémie

La pandémie aura-t-elle changé les habitudes des Montréalai­s en matière de déplacemen­t et d’appropriat­ion des espaces publics ?

« La crise a montré que les citoyens pouvaient se réappropri­er leur ville au détriment de l’automobile, fait valoir Carmela Cucuzzella. Mais je crois que les choses reviendron­t plus ou moins à la normale, à moins que nous n’activions des changement­s nous-mêmes. Le télétravai­l a permis de réduire les temps de déplacemen­t des travailleu­rs, mais cette pratique ne pourra vraisembla­blement pas se poursuivre dans un contexte de retour à la normale, du moins pas avec l’ampleur qu’on connaît présenteme­nt. »

« On a vécu des changement­s pendant huit mois dans un contexte d’obligation, mais je crois que les réelles transforma­tions devront se réaliser de manière volontaire, et non accidentel­le, poursuit-elle. Il y en a qui croient que les villes se sont transformé­es à travers les crises, mais je pense que les changement­s doivent être plus planifiés. »

Ursula Eicker note, pour sa part, que la pandémie a démontré que les voyages d’affaires n’étaient peut-être pas aussi indispensa­bles qu’on le pensait. Du point de vue environnem­ental, c’est peut-être une bonne chose. « Avant la pandémie, je voyageais tout le temps à travers le monde. Maintenant, on fait nos réunions virtuellem­ent et on se rend compte qu’on n’a pas besoin de se déplacer pour faire ça. Tout le monde en a fait l’expérience. »

Le problème à Montréal, c’est qu’il n’y a pas assez de secteurs densifiés. Sans une densité suffisante, le secteur commercial peut difficilem­ent survivre. Ça demande beaucoup de préparatio­n et de réflexion.

CARMELA CUCUZZELLA

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ISTOCK Au printemps dernier, dans l’urgence, la Ville de Montréal a aménagé des corridors, qu’elle a baptisés les voies actives sécuritair­es, afin de faciliter les déplacemen­ts des piétons. Les trottoirs ont été élargis, empiétant sur la chaussée, et des artères commercial­es ont été fermées à la circulatio­n automobile. L’espace d’un été, les piétons sont devenus rois dans certains secteurs de la métropole.

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