Trump aux pieds d’argile
Oui, Trump a fait un score élevé et inattendu, avec 47 % et 73 millions de voix, un point de pourcentage et 10 millions de suffrages de plus qu’en 2016. Oui, on peut en déduire que « le trumpisme est là pour rester » et qu’il représente quelque chose d’important aux États-Unis. Mais au-delà des chiffres, malgré le déni obstiné du perdant et ses tentatives de saboter la transition, une chose demeure : qui gagne et qui perd, en politique, cela compte souvent bien plus que le détail des chiffres.
Et la victoire de Joe Biden, décevante par rapport aux attentes, n’en reste pas moins incontestable… et nette : presque 6 millions de voix et 4 points d’avance, pour un score décisif de 306-232 au collège électoral.
Pour Trump, perdre est une infamie, point. Ce sera peut-être le grand paradoxe d’une défaite arithmétiquement honorable : démolir la carapace Trump, montrer que le roi est nu.
Malgré ce qu’on a beaucoup entendu, non sans raisons, sur le caractère authentique et justifié de la protestation trumpienne — contre les élites méprisantes et un Parti démocrate otage des minorités et du politiquement correct ; pour les cols bleus déclassés et une conception traditionnelle de la nation —, il y a un monde entre ces doléances et la « réponse » qui leur a été apportée.
La « gouvernance Trump », comme réponse à une demande politique, était absente, inepte… voire totalement à l’opposé de cette demande populaire. Les postures d’un gourou adulé ont remplacé le programme, le débat, les idéaux, les législations : choses pour lesquelles Trump n’a aucun intérêt.
Le mineur au chômage, à qui le candidat de 2016 avait promis le retour du charbon, s’est fait arnaquer. L’électeur de classe moyenne, en détresse économique, qui avait voté Trump une première fois avec espoir (et peut-être une seconde fois avec rage), récolte la baisse des impôts pour les riches… et une Cour suprême à l’extrême droite. Pour le reste, néant ou presque. C’est cela qu’il voulait ?
En cet automne 2020, l’aura persistante du gourou aura balayé ces objections : il a augmenté son score. Mais peut-être en ira-t-il autrement après sa défaite ?
Ce président n’a jamais manifesté d’intérêt pour la gouvernance concrète. Aujourd’hui, il ne fait même plus semblant. Dépité, hagard, erratique, il est « en mode » vengeance.
En 2016, on pouvait dire : « Trump représente quelque chose. » Aujourd’hui, ça ne suffit plus. Il faut se demander « Trump, qu’est-ce que ça a donné ? Que faire ensuite ? »
Une transition périlleuse… mais qui n’ira pas jusqu’au coup d’État. Sur le plan judiciaire, dans l’armée, dans la société, il y a encore de solides verrous pour empêcher une dérive putschiste ou fasciste.
Les actions en justice désespérées de Trump ont échoué, ou échoueront. Biden sera investi le 20 janvier. Le sortant pourra toujours répéter qu’il a été la victime d’une arnaque, mais une fraction décroissante de ses ouailles y croira.
Mais du même souffle, on doit dire que le sabotage en cours est inouï. Aucun rapport avec le dépit (ou le dédain) des démocrates au lendemain du choc de novembre 2016.
Dès le lendemain de la victoire de Trump, Hillary Clinton avait reconnu sa défaite ; Barack Obama avait téléphoné à Donald Trump pour le féliciter, mettant en branle des comités de transition et se déclarant « à la disposition » de son successeur.
Un fair-play sans commune mesure avec 2020. Le président bloque les comités, refuse de libérer des fonds ou de partager des informations avec son successeur. Il a décapité le Pentagone, y plaçant des loyalistes fanatiques, tandis que le chef de la diplomatie dit préparer « un second mandat Trump ». Ce n’est pas que de la pose ; c’est du sabotage dangereux dans un contexte national et international tendu.
Trump a toujours une emprise sur des millions de fidèles qui lui vouent un culte inconditionnel. Mais il y a des raisons de croire que lorsqu’il sera finalement éjecté, quelque chose se sera cassé, et que ce mouvement en sortira diminué…