Le Devoir

Un million de conteneurs au port de Contrecoeu­r, mais pas d’impact majeur, estime le fédéral

- ALEXANDRE SHIELDS

La constructi­on d’un nouveau port à Contrecoeu­r, où transitero­nt un million de conteneurs chaque année et 1200 camions à remorque chaque jour, n’entraînera pas d’effets environnem­entaux « négatifs importants ». C’est ce qu’affirme l’Agence d’évaluation d’impact du Canada dans son rapport provisoire sur le projet du Port de Montréal. Le gouverneme­nt Trudeau a promis 300 millions de dollars pour la constructi­on de ce terminal, qui nécessiter­a de draguer le fond du Saint-Laurent et qui détruira une partie de l’habitat essentiel d’une espèce au seuil de l’extinction.

« L’Agence conclut que le projet n’est pas susceptibl­e d’entraîner des effets environnem­entaux négatifs importants, compte tenu de la mise en oeuvre des mesures d’atténuatio­n clés. L’Agence conclut également que le projet, combiné aux projets passés, présents et raisonnabl­ement prévisible­s, n’est pas susceptibl­e d’entraîner des effets environnem­entaux cumulatifs sur les milieux humides, le chevalier cuivré et la rainette faux-grillon de l’Ouest », écrit l’Agence d’évaluation d’impact du Canada (AEIC) dans un rapport de 340 pages publié mercredi.

L’AEIC ajoute que le promoteur s’est engagé « à mettre en oeuvre des plans compensato­ires pour les milieux humides, pour les poissons », notamment par la « création d’un habitat pour les poissons et d’herbiers pour le chevalier cuivré ».

Le quai de 675 mètres où transitero­nt chaque année jusqu’à 156 navirespor­te-conteneurs sera en effet construit directemen­t dans l’habitat essentiel désigné par le fédéral pour ce poisson. Le chevalier cuivré, qui n’existe nulle part ailleurs dans le monde que dans une portion très restreinte du fleuve Saint-Laurent, est classé « en voie de disparitio­n » en vertu de la Loi sur les espèces en péril.

Non-respect de la loi

Pourquoi le promoteur aurait-il le droit de détruire une partie de l’habitat de l’espèce alors que la législatio­n devrait normalemen­t l’interdire ? Tout simplement parce que le gouverneme­nt Trudeau a décidé de ne pas respecter la Loi sur les espèces en péril (LEP), souligne le directeur de la Société pour la nature et les parcs Québec (SNAP), Alain Branchaud.

Le gouverneme­nt fédéral, qui avait promis 300 millions de dollars de fonds publics pour le projet avant même que l’étude d’impact du promoteur et l’examen de l’AEIC soient terminés, n’a jamais mis en oeuvre les mesures légales qui interdirai­ent de détruire des « éléments » de l’habitat essentiel du chevalier cuivré. Normalemen­t, cela aurait dû être fait dès décembre 2012. En février 2018, le gouverneme­nt avait pourtant affirmé au Devoir qu’il respectera­it les dispositio­ns de la LEP.

« Ils ont maintenant huit ans de retard, ce qui est complèteme­nt exceptionn­el et déraisonna­ble, précise M. Branchaud. C’est troublant de voir que le gouverneme­nt a visiblemen­t altéré le processus légal normal pour favoriser le développem­ent d’un projet industriel. » Un point de vue partagé par la directrice générale du Centre québécois du droit de l’environnem­ent, Geneviève Paul.

Parmi les avis produits par différents ministères dans le cadre de l’évaluation fédérale du projet, Pêches et Océans Canada avait pourtant insisté sur l’importance de la superficie d’habitat du chevalier cuivré, qui pourrait carrément « disparaîtr­e » en raison du dragage du fleuve qui sera nécessaire pour implanter le futur port. Selon l’évaluation actuelle, il est question de draguer au moins 750 000 mètres cubes de sédiments, sur une superficie estimée à 150 000 mètres carrés (environ 20 terrains de soccer).

Le spécialist­e en écotoxicol­ogie Émilien Pelletier et le professeur du Départemen­t des sciences de l’environnem­ent de l’Université du Québec à Trois-Rivières Gilbert Cabana ont également déjà indiqué au Devoir qu’il existe « des risques réels de remise en circulatio­n de contaminan­ts » lors du dragage des sédiments. Ces contaminan­ts, comme des BPC, sont bien présents dans les sédiments dans plusieurs secteurs du Saint-Laurent.

Dans son rapport provisoire qui sera soumis à une période de consultati­ons publiques, l’AEIC affirme par ailleurs que le projet aurait une « faible contributi­on » en matière d’émissions de gaz à effet de serre « à l’échelle de la province et du pays ». Selon les évaluation­s du Port de Montréal, jusqu’à 1200 camions transitero­nt chaque jour au nouveau terminal industriel de Contrecoeu­r en période de pointe, ce qui équivaut à plus de 400 000 camions chaque année, qui transitero­nt notamment par l’autoroute 30. Ces émissions découlant du projet sont exclues de l’évaluation fédérale.

Par voie de communiqué, l’Administra­tion portuaire de Montréal (APM) a souligné qu’elle entend « déployer des mesures d’atténuatio­n et de compensati­on exemplaire­s » pour son projet portuaire. « Le projet de nouveau terminal permettra de soutenir l’essor du marché des conteneurs au cours des prochaines décennies et de consolider la compétitiv­ité de l’écosystème logistique et industriel de l’est du Canada », ajoute l’APM.

Le projet d’expansion portuaire n’a fait l’objet d’aucune évaluation environnem­entale québécoise, mais Québec a participé au processus fédéral.

Le gouverneme­nt Trudeau a promis 300 millions de dollars pour la constructi­on de ce terminal

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ALEXANDRE SHIELDS LE DEVOIR Le projet de Contrecoeu­r permettra de faire transiter plus d’un million de conteneurs chaque année.

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