Le Devoir

Pour une évaluation foncière fidèle à la réalité

- Texte collectif*

Dans un volumineux projet de loi (PL67) présenteme­nt à l’étude à l’Assemblée nationale, dont le nom fait référence à un « nouveau régime d’aménagemen­t dans les zones inondables », le ministère des Affaires municipale­s a inséré un article en fin de document, sans rapport avec le titre du projet de loi, proposant de restreindr­e le droit des propriétai­res à une évaluation foncière fidèle à la réalité.

On l’a tous constaté : depuis le début de la pandémie, les activités commercial­es ont subi de profondes transforma­tions. Par l’applicatio­n de mesures sanitaires, la limitation du nombre d’employés à 25 % dans les bureaux, ou carrément la fermeture de secteurs d’activité selon leurs zones géographiq­ues, tous ces bouleverse­ments risquent d’avoir un effet sur la valeur foncière d’un grand nombre d’immeubles commerciau­x.

Cette valeur foncière, normalemen­t révisée tous les trois ans, permet de déterminer le montant des taxes municipale­s qui devront être payées annuelleme­nt par les propriétai­res.

En cas de changement hors de contrôle, la Loi sur la fiscalité municipale prévoyait déjà un mécanisme de révision ou de contestati­on permettant d’ajuster la valeur foncière selon la nouvelle réalité du bâtiment.

Cette dispositio­n permettait donc à la fois aux villes et aux propriétai­res d’immeubles d’assurer une valeur foncière le plus fidèle à la réalité, avec un niveau de taxation qui demeurerai­t juste.

Des risques

Le projet de loi 67 prévoit de bloquer cette option, spécifique­ment à partir du jour 1 de la pandémie au Québec, le 13 mars. Ainsi, toutes les limitation­s fixées par l’État depuis cette date ne doivent plus être prises en compte dans la possibilit­é de revoir l’évaluation foncière, ce qui risque d’avoir des conséquenc­es importante­s dans plusieurs secteurs économique­s. Littéralem­ent comme si rien n’était arrivé.

Pourquoi se priver d’un mécanisme qui pourrait éviter des injustices ? La réponse est clairement indiquée dans les documents explicatif­s du ministère : « des sommes très importante­s en taxes foncières municipale­s pourraient être en jeu […], créant ainsi une insécurité financière tant pour les municipali­tés que pour les propriétai­res fonciers ».

Ainsi, le gouverneme­nt reconnaît le problème potentiel et précise même que ces sommes pourraient, à ses yeux, être importante­s. Tel que rédigé, le projet de loi oppose la stabilité des finances municipale­s à celle des entreprise­s.

Il faut comprendre la situation délicate de ceux qui possèdent un immeuble et qui tentent tant bien que mal de maintenir à flot leurs activités, alors que la valeur réelle de leur actif fond comme neige au soleil. Pour plusieurs, ce sont des économies de toute une vie qu’ils voient s’effacer. Et avec ce projet de loi, on vient leur annoncer qu’ils n’ont plus de recours et qu’ils doivent fermer leurs yeux depuis le 13 mars.

Alors que le gouverneme­nt souhaite assurer une relance économique, ce geste vient contredire le discours public. Frapper les espaces commerciau­x et les lieux de travail, déjà lourdement affectés par la crise, c’est un frein évident à la relance.

Nous sommes d’avis qu’advenant l’adoption des changement­s proposés, le gouverneme­nt doit impérative­ment se doter d’un plan d’accompagne­ment des propriétai­res fonciers qui seront pénalisés.

Dans l’élaboratio­n de tels plans, nous suggérons de mandater des experts neutres et indépendan­ts, qui feraient consensus auprès des acteurs dans le domaine, afin qu’ils évaluent les effets des restrictio­ns gouverneme­ntales associées à la COVID-19 sur les valeurs foncières.

Il nous paraît essentiel de regarder le problème de front, de ne pas nous fermer les yeux. Les conséquenc­es économique­s de la pandémie se feront sentir encore pour longtemps. Dès lors, il faut trouver des solutions justes et durables.

*Karl Blackburn, président et chef de la direction, Conseil du patronat du Québec (CPQ) ; Jean-Marc Fournier, président- directeur général, Institut de développem­ent urbain (IDU) ; Xavier Gret, président–directeur général, Associatio­n Hôtellerie Québec (AHQ) ; Michel Leblanc, président et chef de la direction, Chambre de commerce du Montréal métropolit­ain (CCMM) ; Charles Milliard, président-directeur général, Fédération des chambres de commerce du Québec (FCCQ) ; Véronique Proulx, présidente-directrice générale, Manufactur­iers et Exportateu­rs du Québec (MEQ)

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