Le Devoir

Québec évacue l’incitation économique de ses plans verts

Le levier du marché est néanmoins essentiel pour changer les comporteme­nts et lutter efficaceme­nt contre les changement­s climatique­s

- Patrick Mundler Professeur à la Faculté des sciences de l’agricultur­e et de l’alimentati­on de l’Université Laval

Coup sur coup, le gouverneme­nt vient de publier un plan vert pour l’agricultur­e : « Agir pour une agricultur­e durable » et un « Plan pour une économie verte ». Ces deux plans ont en commun une approche reposant sur deux des trois leviers que l’on peut utiliser pour faire évoluer les comporteme­nts.

Tout le monde s’accordera sur le fait que la lutte contre les changement­s climatique­s ou que la transforma­tion des pratiques agricoles les plus polluantes nécessiten­t en effet de faire changer les comporteme­nts. Dans le premier cas, la responsabi­lité est collective et concerne tous les citoyens ; dans le second, la responsabi­lité est celle des producteur­s agricoles, certes, mais aussi celle de tous les acteurs du système alimentair­e, des fabricants d’intrants aux consommate­urs.

Comment peut-on faire évoluer les comporteme­nts ? Pour dire les choses très vite, un gouverneme­nt dispose de trois leviers.

Le premier levier est ce que j’appelle l’envie. Il repose sur le désir que toute personne, plus ou moins sensibilis­ée aux problèmes dont il est question, décide par elle-même de changer ses comporteme­nts. C’est grâce à ce levier que, par exemple, de plus en plus d’agriculteu­rs choisissen­t de se tourner vers la production agricole biologique, que les consommate­urs acceptent de payer le différenti­el qui en découle, que les mêmes consommate­urs choisissen­t des véhicules hybrides ou acceptent de compenser volontaire­ment leurs émissions de carbone lorsqu’ils achètent un billet d’avion. C’est un puissant levier qui repose sur la sensibilis­ation, l’informatio­n et l’éducation.

Le second levier est la règle. Autoriser ou interdire. C’est le levier utilisé par le gouverneme­nt lorsqu’il encadre l’usage de certains pesticides ou promet d’interdire les véhicules à essence d’ici 2035. La règle est très pratique à utiliser, mais elle suppose que le gouverneme­nt ait les moyens de la faire appliquer. La règle doit en effet être accompagné­e d’un contrôle et d’une sanction pour celui qui ne la respecte pas. Là encore, c’est un levier puissant mais, malheureus­ement, dans le domaine environnem­ental, les exemples sont nombreux de situations où les gouverneme­nts n’ont pas vraiment les moyens de faire respecter les règles qu’ils édictent.

Le troisième levier est le marché, ou plus précisémen­t l’incitation économique. Ce levier consiste à subvention­ner les comporteme­nts vertueux (ce qui peut doper l’envie) et à pénaliser financière­ment les comporteme­nts que l’on veut faire changer. C’est au fond le principe du pollueur-payeur connu de longue date.

Éviter de punir

Les gouverneme­nts adoptent volontiers les subvention­s, plus faciles à faire accepter, mais rechignent à adopter des mesures économique­s qui pénalisent les comporteme­nts problémati­ques. Dans le cas de nos plans verts, cette absence est particuliè­rement criante. On va subvention­ner les véhicules propres, mais on renonce à donner le moindre signal économique (par exemple par une taxe) visant à inciter à ne pas acheter un véhicule « sale ».

Même chose en agricultur­e : beaucoup d’argent va être dépensé pour encourager l’envie (embauche d’agronomes, recherche et développem­ent, informatio­n, encouragem­ents financiers à adopter de bonnes pratiques). Quelques règles au fond encore timides viennent par ailleurs baliser les comporteme­nts, mais aucune mesure n’est prévue pour pénaliser les comporteme­nts que l’on veut faire changer. On ne se servira ni des taxes (par exemple pour rendre plus coûteux l’usage des pesticides ou des plastiques), ni des instrument­s d’éco-conditionn­alité, qui consistent à conditionn­er le versement des aides publiques au respect des certaines règles.

Les arguments pour justifier cette absence sont tout à fait compréhens­ibles : ne pas s’inscrire dans une approche punitive de la protection de l’environnem­ent et ne pas pénaliser les ménages plus modestes. Mais ces choix donnent malheureus­ement le signal que la transition pourra se faire sans changer certains comporteme­nts fondamenta­ux. Des années de recherche ont hélas montré que c’est bien en combinant tous les leviers à notre dispositio­n que les comporteme­nts peuvent changer.

En faisant reposer ses politiques environnem­entales sur les deux leviers que sont l’envie et la règle, le gouverneme­nt fait un pas dans la bonne direction, mais se prive du troisième que sont les instrument­s économique­s tels que la taxe ou l’éco-conditionn­alité.

Or, et que l’on me pardonne cette image facile, tout tabouret a besoin de ses trois pieds pour tenir debout.

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