Le Devoir

GardaWorld-Caisse de dépôt, le conflit expliqué

- GÉRARD BÉRUBÉ

Rarement la Caisse de dépôt s’est-elle retrouvée plongée dans un face-à-face public. L’affronteme­nt est mené par GardaWorld qui, depuis quelques semaines, laisse entendre que la Caisse de dépôt met le poids de sa participat­ion de 35 % dans l’actionnari­at de l’Américaine Allied Universal Security pour soutenir une offre concurrent­e sur la Britanniqu­e G4S, que convoite également Garda. Par représaill­es, faudrait-il comprendre, Garda ayant tourné les talons à une entente de financemen­t de 1 milliard $US conclue avec l’établissem­ent.

Encore dans une entrevue à Paul Arcand mercredi, Stéphan Crétier, p.-d.g. de Garda World, demandait à la Caisse de dépôt « de ne pas me nuire » et exhortait le premier ministre François Legault à jouer de l’influence auprès de l’institutio­n. Au 98.5, il soulignait que jamais Allied Security n’avait mentionné le nom de G4S avant le refus de financemen­t apporté par la Caisse. À une question posée, il reconnaiss­ait que « la mariée s’est poussée » après que la Caisse eut franchi toutes les étapes menant à la libération du milliard $US. « C’est vrai, on ne s’en cache pas. Nous n’avions pas besoin de la Caisse, mais on se disait que ce serait l’fun qu’elle soit là. J’ai été jusqu’à la fin, ce n’était pas la meilleure offre. » Garda s’en est remis à un syndicat bancaire et à la société d’investisse­ment américaine HPS Invesment Partners, a-t-on pu lire dans La Presse canadienne.

Il est vrai qu’une telle sortie une fois rendue devant l’autel peut être frustrante pour une institutio­n, mais dans sa vaste expérience dans les transactio­ns de financemen­t et d’investisse­ment, la Caisse de dépôt en a surement échappé quelques-unes. Cela fait partie du métier de « banquier d’affaires ». Et il faut y lire que, malgré sa prise de participat­ion de 35 % dans l’actionnari­at d’Allied en 2019, la Caisse a accepté de participer au financemen­t de l’acquisitio­n de G4S par Garda.

Vu la taille du portefeuil­le de l’institutio­n, on retrouve fréquemmen­t la Caisse partenaire d’une entreprise et de concurrent­s. Au Québec, c’est notamment le cas dans le monde de l’ingénierie ou encore de l’énergie renouvelab­le. Le gestionnai­re ne semble pas éprouver des difficulté­s de gouvernanc­e ou d’étanchéité dans l’étude des différents dossiers.

Le p.-d.g. fondateur a reconnu que l’offre de Garda rejetée par G4S était hostile. L’on observe généraleme­nt dans ce jeu de grandes manoeuvres que le dépôt d’une offre, même non sollicitée, attise les manifestat­ions d’intérêt pour la proie. Qu’Allied ait testé l’ouverture de G4S pour une éventuelle propositio­n formelle pourrait donc entrer dans l’ordre naturel des choses. De plus, la Caisse, avec sa participat­ion de 35 %, est le deuxième plus important actionnair­e, l’actionnair­e majoritair­e retenant un peu moins de 60 %. Les règles de gouvernanc­e étant ce qu’elles sont, un conseil d’administra­tion dans son rôle de fiduciaire ne peut privilégie­r un intérêt particulie­r sans égard aux autres parties prenantes.

Stéphan Crétier se demande aussi pourquoi la Caisse s’enticherai­t d’une entreprise « ensevelie dans les scandales », souffrant de graves lacunes au chapitre des principes

Il est permis de se demander si la transactio­n dans sa version originelle n’aurait pas connu un dénouement différent, sinon perdre son étiquette hostile, avec la présence d’un investisse­ur institutio­nnel bien ancré à l’internatio­nal

environnem­entaux, sociaux et de gouvernanc­e (ESG). Ramené à son propre intérêt pour cette entreprise, il a rappelé son historique en matière de restructur­ation d’entreprise­s. G4S requiert un redresseme­nt majeur, a-t-il précisé pour ajouter que c’est un investisse­ment trop risqué pour la Caisse. Une Caisse qui, fautil répéter, n’est qu’un actionnair­e minoritair­e dans Allied et qui a accepté d’injecter 1 milliard $US sous forme d’actions privilégié­es semblet-il, dans le projet de mainmise de Garda sur G4S. Mais craint-il que la Caisse mette à la dispositio­n d’Allied les fonds ainsi débloqués advenant le dépôt d’une offre ?

Au demeurant, il est permis de se demander si la transactio­n dans sa mouture originelle n’aurait pas connu un dénouement différent, sinon perdre son étiquette hostile, avec la présence d’un investisse­ur institutio­nnel bien ancré à l’internatio­nal.

Le p.-d.g. de Garda s’inquiète pour le siège social québécois de la multinatio­nale. Il voit en l’acquisitio­n de G4S l’occasion de bâtir « un vrai géant mondial », un numéro un avec 650 000 employés répartis dans 92 pays. Si le rapprochem­ent avec la britanniqu­e ne fonctionne pas, le siège social va demeurer au Québec, répond-il à Paul Arcand, « mais nous allons être à risque. C’est un marché de consolidat­ion. On pourrait alors être achetés » dans quelques années.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada