Le Devoir

Un virage électrique qui passe par le porte-monnaie

Les gouverneme­nts sont trop timorés par rapport à l’écofiscali­té

- ANALYSE ÉRIC DESROSIERS

Il faudra un bouquet de mesures pour amener les consommate­urs à tourner définitive­ment la page sur leur histoire d’amour avec les voitures à essence, disent des experts. Mais il serait bien bête, dans la nécessaire transition vers une économie durable, de ne pas mettre pleinement à profit les plus puissantes et les plus efficaces de toutes, c’est-à-dire celles qui touchent leurs porte-monnaie.

Dans son nouveau Plan pour une économie verte, le gouverneme­nt du Québec a réaffirmé, lundi, son engagement à réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) de 37,5 % sous leur niveau de 1990 d’ici 2030, et promis d’atteindre la carboneutr­alité d’ici 2050. Pour ce faire, le gouverneme­nt Legault entend concentrer ses efforts sur le secteur du transport, responsabl­e à lui seul de 43 % de toutes les émissions de GES du Québec, en lui consacrant plus de la moitié (3,6 milliards) des 6,7 milliards de son plan quinquenna­l, dont 1,3 milliard seulement pour subvention­ner l’achat ou la location d’un véhicule électrique par les consommate­urs ainsi que l’installati­on de bornes de recharge.

Entourée de plusieurs autres initiative­s visant à encourager l’autopartag­e, le télétravai­l ou encore la densificat­ion des milieux urbains, cette mesure phare s’accompagne d’un resserreme­nt de la réglementa­tion interdisan­t la vente de véhicules neufs à essence à compter de 2035.

Si d’un côté, l’État est prêt à offrir jusqu’à 8000 $ de subvention­s pour un véhicule électrique, il n’est pas question, de l’autre côté, d’imposer de taxe spéciale sur les véhicules les plus énergivore­s, de taxe au kilométrag­e, ou toutes autres formes de hausses de taxes ou d’impôt, a répété le gouverneme­nt Legault qui n’avait apparemmen­t rien à dire non plus sur une éventuelle augmentati­on du prix des émissions de GES (et par conséquent de l’essence) par l’entremise de la bourse du carbone.

Désormais le plus ambitieux au Canada en ce qui a trait à l’abandon des véhicules à essence, le plan québécois ressemble assez à ce qui se fait dans la plupart des pays les plus avancés dans le domaine, notamment européens, selon le portrait qu’en faisait la firme de consultant­s McKinsey cet été. Allant d’incitatifs financiers directs (subvention­s, péages, taxe carbone…) au resserreme­nt de la réglementa­tion (niveau maximal d’émission de GES, fin de la vente de véhicules à essence… ), en passant par le développem­ent de réseaux de bornes de recharge et l’attributio­n de privilèges (voies réservées, stationnem­ents gratuits… ), ces bouquets de mesures incitent les consommate­urs à se tourner vers les véhicules électrique­s en même temps que l’industrie automobile apprend à améliorer son offre et à réduire ses prix, dans une sorte de cercle vertueux.

La Norvège est le seul endroit au monde où la transition vers les véhicules électrique­s est si avancée qu’on peut désormais la considérer comme irréversib­le

Là où ça fait mal

Aucun pays ne le fait mieux actuelleme­nt que la Norvège, seul endroit au monde où cette transition est si avancée qu’on peut désormais la considérer comme irréversib­le. Mais voilà, les subvention­s (congé de taxe de vente) peuvent y équivaloir au tiers du prix d’un véhicule électrique neuf et la tarificati­on du carbone y est presque quatre fois plus salée qu’au Québec.

Cette influence des prix sur les comporteme­nts des consommate­urs et des entreprise­s n’est pas moins grande en ce qui concerne toutes les autres questions liées à la lutte contre les bouleverse­ments climatique­s, se tuent à répéter les experts qui implorent les gouverneme­nts de ne pas rester si timorés devant les possibilit­és offertes par l’écofiscali­té.

Et de tous les outils disponible­s en la matière, la tarificati­on du carbone se démarque encore et toujours comme le meilleur moyen de réduire les émissions de GES au coût le plus bas possible pour les ménages et l’économie, expliquaie­nt pour la énième fois, l’an dernier, les économiste­s de la Commission de l’écofiscali­té du Canada qui parlaient alors de l’ajout de l’équivalent de 40 ¢ le litre au prix de l’essence d’ici 2030. Mais bon, rageaient-ils, s’il ne faut surtout pas augmenter les taxes sur les GES, on peut toujours recourir à d’autres moyens plus chers et moins efficaces…

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