Le Devoir

Les Lumières… en panne

- CHRISTIAN RIOUX

Le président français ne croyait pas avoir un jour à se colletaill­er avec la presse anglo-américaine. C’est pourtant ce qu’il a dû faire depuis une semaine. Dans une longue entrevue, il s’en est pris à l’absence de soutien manifeste dont la France est victime dans le monde anglo-saxon alors même qu’elle est la cible privilégié­e du terrorisme islamiste. « Beaucoup de condoléanc­es ont été pudiques », a-t-il déclaré. Une façon polie de dire que, lorsqu’elle affronte l’islamisme, la France est seule. Le président n’a pas craint d’évoquer cette ingratitud­e dans un entretien avec le correspond­ant à Paris du New York Times. Ce même quotidien qui, le 16 octobre dernier, alors que l’enseignant Samuel Paty venait d’être décapité devant son lycée par un islamiste, n’avait rien trouvé de mieux que de titrer « La police française tire et abat un homme après une attaque meurtrière au couteau dans la rue ».

Le titre fut corrigé, mais il donnait le ton du « French bashing » qui allait déferler dans la grande presse angloaméri­caine. Le corps de Samuel Paty n’était pas encore tiède que le site Politico dénonçait cette « dangereuse religion française » qu’on nomme la laïcité. Le correspond­ant à Paris du Washington Post soupçonnai­t la France de vouloir « réformer l’islam » au lieu de s’attaquer au « racisme systémique ». Bref, ces incurables Gaulois l’avaient bien cherché.

Il y a quelque chose d’ironique à voir le président français s’en prendre aujourd’hui à une presse qui, il n’y a pas si longtemps, le portait aux nues. En 2017, n’était-il pas la coqueluche du même New York Times qui le décrivait comme un « libéral décomplexé » qui allait secouer « les vaches sacrées françaises » ? Le Financial Times saluait un fabuleux « antidote à la vague populiste ».

Mais, Emmanuel Macron a beau être libéral, il n’en demeure pas moins français. Plus la réalité reprenait ses droits, plus le président découvrait combien l’islamisme gangrenait les banlieues françaises, plus il irritait la presse anglo-américaine. Ce n’est pas nouveau. Déjà, le 11 janvier 2015, Barack Obama n’avait pas daigné se joindre aux 44 chefs d’État et de gouverneme­nt présents à Paris pour dénoncer l’attentat de Charlie Hebdo. Pas plus d’ailleurs que Stephen Harper et Philippe Couillard. Ce qui n’a pas empêché le preacher Obama, symbole du « soft power américain », de sermonner la France tout au long de son mandat en dénonçant la loi de 2004 interdisan­t le port de signes religieux à l’école.

Dans ses mémoires, rédigés en forme de sermon sur la « terre promise », Barack Obama a d’ailleurs des mots plus acerbes sur Nicolas Sarkozy que sur Recep Tayyip Erdogan, dont il a été l’allié inconditio­nnel chaque fois qu’il fut question de faire entrer son pays aujourd’hui ouvertemen­t islamiste dans l’Union européenne.

Le président français semble découvrir sur le tard combien les idéaux des Lumières sont malmenés en cette époque où chacun est invité à s’enfermer dans sa « communauté ». Rappeler que nos nations sont fondées sur l’égalité des citoyens en droit quelle que soit leur origine ethnique, raciale ou religieuse, comme le fait le président, est aujourd’hui ouvertemen­t dénoncé comme une forme de racisme par la nouvelle pensée racialiste. À l’exemple des marxistes qui pourfendai­ent l’« égalité bourgeoise », un auteur comme Ibram X. Kendi dénonce sans détour « le masque de la neutralité raciale » que représente, par exemple, la déclaratio­n des droits inscrite dans la Constituti­on américaine (Comment devenir antiracist­e, Alisio). Ignorer la race serait même la pire forme de racisme !

Malgré un communauta­risme qui prend parfois des allures de guerre civile, ces idéaux ne sont pourtant pas disparus aux États-Unis. Ainsi, le 3 novembre dernier, 57 % des électeurs de la Californie rejetèrent par référendum la propositio­n 16 destinée à supprimer des lois de l’État l’interdicti­on de toute discrimina­tion dans l’embauche sur la base de la race, du sexe ou de l’ethnie. En clair, les citoyens du plus grand État américain, qui ont par ailleurs voté massivemen­t contre Donald Trump, ont infligé du même coup une défaite cinglante aux démocrates en refusant la réintroduc­tion de la « discrimina­tion positive » dans les université­s et l’administra­tion publique. Discrimina­tion déjà supprimée en 1996 par la propositio­n 209.

Ce second vote contre l’utilisatio­n de critères ethniques, sexuels et raciaux dans l’embauche et les admissions à l’université représente une gifle pour la sénatrice californie­nne et future vice-présidente, Kamala Harris, qui s’était prononcée pour la propositio­n 16. Mais aussi pour le patronat et les grandes entreprise­s, dont Netflix, qui ont consacré 15 millions de dollars à cette campagne.

Une cause semblable, contre la politique d’admission fondée sur la race pratiquée par l’Université Harvard, devrait être bientôt entendue par la Cour suprême. Si bien qu’on peut se demander si le « racisme systémique » dont on parle tant ces jours-ci n’est pas finalement une façon détournée de réintrodui­re cette « discrimina­tion positive » au moment où les États-Unis pourraient décider de la renvoyer aux calendes grecques.

La France n’est peut-être pas si isolée qu’on le croit.

Il y a quelque chose d’ironique à voir le président français s’en prendre aujourd’hui à une presse qui, il n’y a pas si longtemps, le portait aux nues.

Mais, Emmanuel Macron a beau être libéral, il n’en demeure pas moins français.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada