Le Devoir

La version de Rozon « défie la logique », plaide la Couronne

- GUILLAUME BOURGAULT-CÔTÉ

La version des faits présentée par le producteur déchu Gilbert Rozon dans le cadre de son procès pour attentat à la pudeur et viol « défie la logique » et « ne fait pas de sens », a plaidé jeudi le procureur Bruno Ménard. Celui-ci estime que dans cette affaire opposant deux versions contradict­oires, la sincérité de la plaignante ne fait pas de doute et impose un verdict de culpabilit­é.

« L’accusé vous a fourni un récit calqué sur celui de la plaignante, il accepte ce qu’elle dit… mais ne diverge que sur les parties incriminan­tes », a souligné l’avocat durant sa plaidoirie présentée en après-midi au palais de justice de Montréal. Le témoignage de M. Rozon « implique des contradict­ions, [démontre] un désir de bonifier sa version et de dénigrer celle de la plaignante. Surtout, il ne fait pas de sens quand on l’examine minutieuse­ment ».

À l’inverse, a-t-il plaidé devant la juge Mélanie Hébert, « la plaignante a fourni un récit dans lequel elle explique les événements » sans chercher à colmater les brèches que le passage du temps (40 ans) a creusées dans le récit.

Dans sa plaidoirie qui aura duré quelque 90 minutes, le procureur a souvent mis de l’avant qu’il est normal que des détails précis restent flous. Que la plaignante ne sache pas précisémen­t combien de boutons avait sa chemise le soir des événements ; si le barman a dit « last call » ; si Gilbert Rozon a touché son corps à travers ses vêtements ou seulement ses vêtements… tout cela relève de « questions qui ne viennent pas affecter la plaignante », a-t-il dit.

« Au contraire : ses réponses viennent bonifier sa crédibilit­é parce qu’elle n’essaie pas d’en rajouter », a-t-il fait valoir.

La question du consenteme­nt

Bruno Ménard a soutenu à la juge Hébert que la preuve déposée montre qu’il n’y a jamais eu consenteme­nt lors des événements qui ont valu à Gilbert Rozon deux accusation­s : attentat à la pudeur et viol. Les faits en cause se seraient produits à SaintSauve­ur en 1980, en deux incidents distincts survenus à quelques heures d’écart — au milieu de la nuit pour l’attentat à la pudeur, puis au petit matin pour le viol.

Il a affirmé que l’accusé ne pouvait avoir une « croyance sincère » qu’il y avait consenteme­nt. « Même si la plaignante n’a pas prononcé le mot “non”, elle a clairement manifesté qu’elle ne consentait pas en le repoussant. »

Concernant les prétention­s de la défense voulant que la victime présumée de Gilbert Rozon fût guidée par le « désir » de « faire payer M. Rozon » dans le contexte du mouvement #MeToo, Bruno Ménard s’est appliqué à mettre en lumière que « ça ne correspond pas à la preuve que [la juge a] entendue ».

Selon lui, la motivation intrinsèqu­e de la plaignante a été clairement établie dans la preuve entendue. C’est pour sa fille (qui a le même âge qu’elle avait au moment des événements) qu’elle a porté plainte, et non « pour se venger » dans le contexte d’une « liesse populaire », a-t-il dit. « On pouvait lui demander si c’était à cause de l’influence de ses amis ou du mouvement social [#MeToo]… On l’a fait et elle a répondu : sa motivation est claire, son témoignage sincère et fiable », a-t-il dit.

Le procureur Ménard s’est aussi attardé à la manière dont la défense a qualifié les réactions de la plaignante, qu’on a jugé « invraisemb­lables » dans un contexte d’agression. « On reproche à la plaignante de ne pas avoir quitté les lieux à la suite de la première agression, on vous mentionne que c’était une femme “délurée”[…]. La vie est beaucoup plus compliquée que le stéréotype de la victime vulnérable et de l’accusé prédateur. C’est rarement ça. La réalité est composée de toute une gamme de teintes de gris. »

La juge Hébert a pris la cause en délibéré et rendra son verdict le 15 décembre en après-midi.

La juge Mélanie Hébert rendra son verdict le 15 décembre en après-midi

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