Amnistie internationale contre la loi 21
Amnistie internationale est certes reconnue pour ses actions en faveur de la libération des prisonniers et prisonnières d’opinion. Cependant, notre mission n’est pas de combattre les dictatures, mais de combattre toute violation de droits de la personne, y compris au sein des États démocratiques, en vertu de la Déclaration universelle des droits de l’homme. D’où notre contestation de la loi 21.
D’entrée de jeu, bien que la Loi sur la laïcité prétende proscrire le port des signes religieux en général, reconnaissons que le véritable objet d’opprobre est ici le voile islamique et ses dérivés.
Notre façon de percevoir les coutumes et les croyances des autres est modelée par notre environnement social et culturel. C’est ainsi que plusieurs d’entre nous perçoivent la femme musulmane comme étant « nécessairement soumise et victime ». Et que le gouvernement du Québec a déclaré que le voile était sans conteste une manifestation de l’inégalité des genres et une menace à la laïcité.
En 1994, à Montréal, le cas d’Émilie Ouimet, une fillette portant le voile à l’école, avait généré une réflexion, puis une prise de position officielle. Il n’était pas question de laïcité, mais de la menace ressentie à l’égard des droits des femmes. Il a été convenu qu’il valait mieux laisser la jeune fille voilée sur les bancs de l’école publique plutôt que de risquer qu’elle en soit retirée par sa famille.
Puis est arrivé le 11 septembre 2001. Un peu partout, les personnes présumées être d’origine musulmane ont fait l’objet de la vindicte populaire. S’en est suivie une montée des idéologies identitaires de part et d’autre.
Au Québec, comme dans plusieurs pays européens, les gouvernements ont voulu procéder à l’interdiction du voile par l’adoption de lois. La France, le Danemark, les Pays-Bas, l’Espagne, la Bulgarie et la Belgique ont adopté de telles lois. Lesquelles ont été accompagnées de débats houleux, chargés idéologiquement, amenant à des « alliances contre nature » entre l’extrême droite populiste et les courants féministes et laïques. Malgré ces lois, le débat fait toujours rage, et le vivre ensemble est de plus en plus difficile. Apparemment, ce n’est pas la voie à suivre.
Amnistie internationale, conformément à son mandat, s’est prononcée contre ces lois, car elles contreviennent à la liberté de religion et ne répondent pas aux critères des limitations permises par la Charte internationale des droits de l’homme.
Il se peut que certaines musulmanes soient contraintes de porter le voile par leur entourage. Mais nous ne pouvons présumer que c’est forcément le cas. Il est également possible que certaines personnes portant un signe religieux puissent s’adonner à du prosélytisme. Est-ce que le seul fait de ne pas porter cet attribut empêche cela ?
Combattre la discrimination
Néanmoins, il n’est ni interdit ni condamnable d’exprimer des critiques et des désaccords envers les religions et leurs pratiques. Il n’y a rien de malsain à se dire heurté par le port du voile islamique. Cela ne nous donne pas pour autant la permission d’interdire l’expression des croyances d’autrui. La Déclaration universelle des droits de l’homme, comme les chartes québécoise et canadienne, est un instrument qui a été conçu justement pour nous permettre de vivre en paix et en sécurité avec les personnes qui ne sont pas d’accord avec nous, et vice-versa.
En outre, l’État québécois a le devoir de protéger les femmes des pressions visant à les obliger à porter un attribut ou un autre. Or, la loi 21 ne fait rien de cela. Au contraire, elle ne fait qu’accentuer le risque que des femmes soient isolées dans la sphère privée parce qu’elles ne peuvent plus enseigner ou exercer une profession dite « en autorité ».
Le gouvernement du Québec aurait dû, au contraire, chercher à mettre en place des initiatives pour combattre les discriminations auxquelles les musulmanes sont en butte, tant au sein de leur milieu que dans la société québécoise en général. L’objectif de l’État québécois doit être d’habiliter les femmes à prendre leurs propres décisions, plutôt que de limiter le nombre de choix qui s’offrent à elles. Il a l’obligation de prendre les mesures positives nécessaires à la réalisation de l’égalité entre les femmes et les hommes. Ces mesures doivent combattre les discriminations vécues par les femmes et leurs causes profondes, et non leurs symptômes.
Le Québec ne saurait s’acquitter de son obligation de combattre la discrimination en imposant une mesure qui est elle-même discriminatoire. L’exercice du droit à la liberté de religion ne peut se faire au détriment de la réalisation du droit à la liberté, à l’égalité et à la dignité des femmes. Et le contraire est aussi vrai. Les droits sont « indivisibles et interdépendants ».