Le Devoir

On se moque de nous

- AURÉLIE LANCTÔT

On croirait une blague si seulement ce n’était pas aussi inquiétant. J’arrive un peu tard, bien sûr. Tout le monde a déjà critiqué le Plan pour une économie verte (PEV), lancé cette semaine par le gouverneme­nt Legault, et quiconque se préoccupe de l’avenir climatique en a constaté l’insuffisan­ce. Ce plan promet d’accompagne­r les industries dans la transition verte, mais il exclut tout recours à des mesures contraigna­ntes.

On nous parle d’électrific­ation du parc automobile sans remettre en question la primauté du transport individuel. On réitère, par une extraordin­aire contorsion, que le projet GNL-Québec est bon pour la planète parce qu’il aidera à se débarrasse­r du charbon « ailleurs ». On omet complèteme­nt la fin inévitable de l’extraction des énergies fossiles.

Pourtant, la question qui se pose à ce chapitre n’est pas « si », mais bien « quand » et « comment ». On alimente en somme le fantasme d’une croissance dite « verte », mais qui, étrangemen­t, serait propulsée par les mêmes mécanismes économique­s qui nous mènent vers la catastroph­e.

Le parti des travailleu­rs

Quant à l’atteinte des cibles de réduction de GES, déjà en février, le ministre de l’Environnem­ent, Benoit Charrette, disait ouvertemen­t que le gouverneme­nt n’entendait pas fixer une cible de réduction conforme aux exigences de la science pour 2030. Réduire les émissions de GES de 37,5 % d’ici dix ans serait irréaliste, prétextait-on. La transition nuirait à l’économie québécoise. On fait ainsi semblant de prendre le parti des travailleu­rs, des petites entreprise­s, de la classe moyenne et des citoyens vulnérable­s — ce positionne­ment étant sans doute la plus grande hypocrisie de ce gouverneme­nt de petits (et grands) patrons.

Le gouverneme­nt Legault se donne le beau rôle en disant agir au nom des travailleu­rs et de l’économie québécoise. Mais concrèteme­nt, il refuse de préparer l’économie d’après ; d’après l’exploitati­on des hydrocarbu­res, d’après le déni climatique.

Il est vrai que les travailleu­rs et les citoyens vulnérable­s courent actuelleme­nt un risque important, sauf que ce n’est pas la transition elle-même qui les menace, mais bien le refus de la préparer. La justice climatique doit se penser ici et maintenant. Si l’on attend de devoir agir dans l’urgence, celles et ceux qu’on prétend aujourd’hui défendre seront les premiers sacrifiés.

Une dangereuse imposture

Le milieu des affaires, quant à lui, voit des occasions dans le PEV et on le comprend, puisque tout est pensé pour s’adapter à lui. Radio-Canada dévoilait cette semaine que le plan encouragea­it les grands émetteurs de GES québécois à acheter des réductions d’émission réalisées ailleurs, à travers la bourse du carbone Québec-Californie, afin d’embellir le bilan québécois. On touche ici au comble du cynisme environnem­ental de ce gouverneme­nt.

En soi, le marché du carbone est l’une des plus dangereuse­s impostures du discours capitalist­e sur le climat. En fonctionna­nt à partir d’un système de quotas et d’échanges de droits d’émission de GES, ce marché offre aux émetteurs la possibilit­é de compenser artificiel­lement leurs émissions en achetant des « économies » réalisées ailleurs, par une autre entreprise ou toute autre institutio­n.

Mais étant donné qu’à l’origine, les quotas de carbone ont été trop généreusem­ent distribués, il n’est pas très difficile d’acheter des « droits de polluer » sans trop perturber ses activités. Même qu’il n’est pas rare de voir des entreprise­s augmenter leurs profits en revendant des droits d’émission acquis en trop — les pratiques spéculativ­es étant bien implantées sur le marché du carbone, comme partout ailleurs sur les marchés financiers.

Ceux qui ont critiqué la posture du gouverneme­nt quant à l’utilisatio­n de ces mécanismes de compensati­on ont déploré la fuite de capitaux que cela entraînera. Mais on a peu souligné l’absurdité du principe luimême, et le rôle de ce système dans le maintien de l’illusion de la juste contributi­on des entreprise­s à la lutte pour le climat.

Un passe-droit

Quant au gouverneme­nt de François Legault, il ne se contente pas de permettre aux entreprise­s qui contribuen­t le plus aux GES de recourir à un passe-droit : il l’encourage activement. Si l’on croyait qu’il n’était pas possible de fixer la barre plus bas en matière environnem­entale, vraiment, ici, on défie l’imaginatio­n.

Début novembre, le metteur en scène Dominic Champagne annonçait la fin de son Pacte pour la transition en dénonçant le « vide moral », l’hypocrisie et l’arrogance du gouverneme­nt face à la crise climatique. Le plan dévoilé cette semaine en est une démonstrat­ion éclatante. La faillite est palpable, concrète, terrifiant­e.

Dans un petit livre paru récemment, intitulé Comment saboter un pipeline, l’écologiste et militant Andreas Malm sonde les recours qui s’offrent à la population lorsque l’indifféren­ce étatique est totale. Les changement­s climatique­s, avance-t-il, sont une véritable fabrique du désespoir. Il ne serait donc pas surprenant de voir, dans les années à venir, des actions de plus en plus virulentes, et à raison. « Imaginez qu’un jour, écrit-il, les réserves de désespoir qui s’accumulent dans le monde — et en particulie­r dans les pays du Sud — trouvent leur exutoire. » Saura-t-on entendre et apaiser ce désespoir avant que le désastre climatique soit à nos portes ?

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