Il ne faut pas rater notre chance d’encadrer les géants du Web
Mardi 3 novembre. Le pays tout entier a les yeux rivés sur le décompte des votes chez nos voisins du sud. Pendant ce temps, à Ottawa, le ministre du Patrimoine, Steven Guilbeault, dépose son projet de loi tant attendu pour moderniser la Loi sur la radiodiffusion après avoir promis depuis plus d’un an d’encadrer les GAFA et de promouvoir le contenu d’ici.
Un chiffre-choc est répété : grâce à ce projet de loi, d’ici 2023, 830 millions de dollars pourraient être investis dans le contenu d’ici.
Au-delà de la question de l’argent, il y a la question de la protection de notre indépendance culturelle. Et quand on commence à inspecter la loi sous cet angle, les défauts du projet de loi deviennent apparents.
Notre indépendance culturelle
La Loi sur la radiodiffusion n’a pas été conçue pour engranger des revenus pour l’État, mais bien plutôt pour renforcer notre indépendance culturelle et nous protéger contre l’américanisation de notre écosystème culturel.
Il y a cent ans, lorsque la loi voyait le jour, le contenu radiophonique canadien était envahi par le contenu américain. Protéger l’indépendance culturelle canadienne était de mise, et la Loi sur la radiodiffusion cherchait à s’assurer que les diffuseurs investissent dans la création du contenu d’ici. Bien que les premiers jours de la radio soient bien loin derrière nous, la dynamique marchande du système n’a pas foncièrement changé.
Cent ans plus tard, le danger pour notre souveraineté culturelle n’est pas une émission de radio américaine faisant la promotion d’une nouvelle pommade pour cheveux faite à Baltimore, mais bien des compagnies cent fois milliardaires de la Silicon Valley. Les Netflix de ce monde n’ont aucune obligation envers le contenu canadien ou québécois. Les plateformes comme Facebook peuvent diffuser du contenu illégal — pensons menaces de mort et images d’abus sexuels d’enfants — sans la moindre conséquence.
Ainsi, cette nouvelle Loi sur la radiodiffusion, pour être une réussite, doit s’attaquer à ces enjeux de front, afin de protéger notre culture, et de forcer les géants du Web à obéir à nos lois, et à respecter nos normes et valeurs.
La proposition de M. Guilbeault semble accomplir cet objectif. Malheureusement, la législation telle qu’écrite ne remplit pas tout à fait sa mission.
Tout d’abord, les changements proposés ne font que donner au CRTC l’option d’encadrer les plateformes comme Netflix et Amazon Prime. En d’autres mots? On permet au CRTC de ne pas agir — bref on maintient le statu quo. Il s’agit donc de faire confiance à un organisme gouvernemental comme le CRTC en espérant qu’il saura tenir tête aux lobbyistes les mieux financés au monde.
Ensuite, le projet se dédouane entièrement de toute responsabilité envers les médias sociaux comme Facebook et YouTube. Ici, on ne parle pas d’encadrer ce que des individus disent sur ces plateformes, bien sûr, mais bien plutôt de ce que ces plateformes peuvent faire aux individus.
Actuellement, contrairement aux diffuseurs traditionnels, les diffuseurs en ligne peuvent ignorer nos lois, normes et valeurs. Si YouTube veut placer des publicités pour la nouvelle Boréale Blonde avant des vidéos pour enfants, rien ne l’en empêchera. Si Facebook veut prendre des publicités à un meilleur prix d’un parti politique plutôt que d’un autre — comme la plateforme l’a fait en faveur de Donald Trump aux dernières élections américaines — ce sera tout à fait permis par ce projet de loi.
Finalement, la législation ouvre grand la porte aux acheteurs étrangers désireux de prendre possession de nos médias. Si Rupert Murdoch le décidait, il pourrait venir ouvrir un Fox News Québec, et empoisonner notre politique.
Une mise à jour de la loi
Soyons clairs : j’appuie les objectifs de M. Guilbeault. Mais voilà trente ans que nous attendons une mise à jour de cette loi. On ne peut pas rater notre chance d’encadrer les géants du Web. On ne peut pas se laisser dicter les règles du jeu par des compagnies comme Facebook, qui nous démontrent encore et encore qu’elles n’ont aucun respect pour la démocratie. Ce projet de loi peut être amélioré, et doit être amélioré.
Et j’espère que M. Guilbeault et son équipe saisiront l’occasion, et amélioreront ce projet de loi pour qu’il soit à la hauteur des défis auxquels font face notre écosystème culturel et notre démocratie.
Les Netflix de ce monde n’ont aucune obligation envers le contenu canadien ou québécois. Les plateformes comme Facebook peuvent diffuser du contenu illégal — pensons menaces de mort et images d’abus sexuels d’enfants — sans la moindre conséquence.