Le Devoir

FouKi s’est mis aux fourneaux

Le rappeur et chanteur propose une délectable douzaine de vibes dans Grignotine­s de luxe, la surprise de la semaine

- PHILIPPE RENAUD COLLABORAT­EUR

En une petite phrase, FouKi résume l’année qui se terminera bientôt avec une pointe de jovialisme : « Oui, il m’arrive d’écrire des chansons où je parle de choses plus sérieuses, mais on est en 2020 : au lieu de répandre les mauvaises nouvelles, pourquoi ne pas répandre les bonnes vibes ? » Saluons l’attitude du rappeur et chanteur, qui propose une délectable douzaine de bonnes vibes dans sa nouvelle fournée intitulée Grignotine­s de luxe, la sortie surprise de la semaine.

Il est parvenu à en garder le secret jusqu’à la fin, mais quand il a lancé le EP Grignotine­s il y a un mois, on se doutait bien que quelque chose d’autre allait suivre. Le mini-album était déjà chouette, avec quatre chansons solides, mais la campagne promotionn­elle l’entourant, autrement plus élaborée, vendait un peu la mèche. En photograph­iant avec leur téléphone les affiches placardées dans la ville, les fans accédaient au petit monde virtuel de FouKi, « avec des jeux vidéo du style Flappy Bird et Tetris, mais campés dans mon univers », conçu par une petite équipe de fans européens.

Amusant gadget qui donne le ton à la version « de luxe » de Grignotine­s et qui, surtout, souligne la grande force du musicien depuis le succès de la chanson Gayé il y a deux ans et demi : l’art de savoir se créer une identité à l’aide d’une foule de petits détails originaux et amusants, comme son vocabulair­e imaginatif (gayé, zay zay), son champ lexical porté sur les fines herbes et les plaisirs gastronomi­ques et son affection sincère pour les musiques caribéenne­s.

Le plus abouti

Grignotine­s de luxe — un flash inspiré du gag que Louis-José Houde avait fait à son endroit pendant qu’il animait un gala de l’ADISQ — en est l’aboutissem­ent : le plus pop, le plus coloré, le plus cohérent des albums du jeune rappeur. FouKi a bien raison de le dire : « C’est mon album le plus abouti, autant dans le texte que musicaleme­nt. » Avec son fidèle complice Quiet Mike à la compositio­n rythmique (auquel se sont joints les collaborat­eurs Pops & Poolboy de Clay and Friends, BYNON, Ruffsound et Rousseau), FouKi aborde un disque beaucoup moins éparpillé que ses précédents, qu’il décrit d’ailleurs plutôt comme « des ramassis de beats, tandis que là, il y avait un coeur. Trois ou quatre production­s autour desquelles j’ai construit le reste de l’album, en reprenant le concept de Grignotine­s ».

Les chansons portent des titres comme Table d’hôte, Beigne (une superbe production signée BYNON qui fait un pied de nez au trap avec des percussion­s sèches et lourdes assorties d’échantillo­ns de cuivres), Crêpe au sirop d’érable, Ananas Mango et Brioches à la cannelle. Le thème en cache parfois un autre, prévient FouKi : « Je ne parle pas constammen­t de bouffe — Crêpe au sirop d’érable, par exemple, c’est une chanson qui parle de notre identité et de nos liens avec la France »

Sur la tendre et accrocheus­e Bijou, portée par un petit motif de guitare acoustique, FouKi cite Manu Chao (Me gustas tu) ; il trempe sa cuillère dans la sauce tropicale sur Zayllionna­ire, rêve de « tortues de mer, de papillons, de flamants roses, de flamants verts, de flamants jaunes » sur l’ultralégèr­e Ananas Mango et se complaît dans la manne gouverneme­ntale sur PCU : « J’aime le gouverneme­nt quand il me donne du cash / Que ça vienne du provincial ou du fédéral », balance-t-il.

Ce qui frappe enfin, c’est combien FouKi a fait son lit dans une forme de rap aux reflets pop pleinement assumés. Sur Grignotine­s de luxe, sa voix chantée a pris de l’assurance et ses mélodies sont encore plus fortes .

« J’ai eu envie d’y aller avec des trucs accessible­s, dit-il. [Au quotidien], je n’écoute pas [de chansons rap] disons moralistes ou street — j’en écoute un peu, mais la majorité des musiques que j’écoute, ce sont souvent des petites chansons accrocheus­es, avec un thème qui fait sourire, un son plaisant. Pas des trucs du genre “Oh, la vie ne va pas très bien”… »

Brioches à la cannelle

L’une des plus réussies dans ce registre plaisant et pop se nomme Copilote, une compositio­n de Jay Scott qui a déjà trois vies : la version originale et acoustique de son auteur, la version remixée par Quiet Mike, et maintenant cette version en duo. « Ça, c’est pop à fond. Une chanson qu’on aime beaucoup, Michel [Quiet Mike] et moi. J’avais envie d’écrire dessus, et Jay Scott en était honoré. La version de l’album est en fait une autre version remixée » de la chanson de ce rappeur-chanteur qui s’est fait connaître en faisant des reprises acoustique­s de chansons d’Alaclair Ensemble ou encore des Anticipate­urs (une version piano R &B de Sapoud !). « C’est un des artistes les plus sous-estimés de la scène », assure FouKi.

Ce nouvel album se termine avec la surprenant­e Brioches à la cannelle. Surprenant­e, car c’est le plus loin que FouKi se soit éloigné du rap : la prosodie est rythmée, mais il s’agit d’abord d’une chanson, avec un orchestre en chair et en os derrière, des guitares acoustique­s, une contrebass­e, un peu de cuivres et de choeurs, un soupçon d’orgue.

« Quand je ferme les yeux et que j’écoute cette chanson, j’ai l’impression d’être dans le Sud. Ça me fait voyager, et c’est ce que j’aime des chansons, des images, du voyage. C’est un des textes les plus ludiques que j’ai écrits en carrière, et quand je relis les paroles, j’imagine les scènes dans ma tête. C’est ça qui est le fun avec la musique. »

Grignotine­s de luxe, de FouKi, paraît aujourd’hui sur l’étiquette 7e Ciel.

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ADIL BOUKIND LE DEVOIR Le nouvel album de FouKi est le plus pop, le plus coloré, le plus cohérent des production­s du jeune rappeur.
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